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LA MORALE

CHRESTIENNE.

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MONSIEVR DE

yiLLARNOVL.

PREMIERE PJRTIE. Par MOYSE AMYRAVT.

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A SAVMVR,

Chés ISAAC DESBORDES3

Imprimeur vfc Libraire.

I lllllilHII I III I II I I II—— »■«■»

.¥. PC, LU.

5 La Morale

bien , en partie pour fatisfaircâu defir de plufieurs honneftes gens qui croy- oycnt que i'y pouiiois donner quel- ques bonnes Jnftruûions au Public, eft-ce que ie n'en formay point la refolution tout; à fait , finon lors que commençant à me remettre dVne longue maladie , ie fis ily a vn peu plus de troisansvnvoyage a laForeft. vous vous fouuenés , Monsievr, que nous promenant enfemble dans vos allées , en difcourant de diuerfes chofes, & particulièrement de quel- ques difputes qui m'ont beaucoup exercé, vous m'induifiés à laifTer cou- rir Tans m'en émouuoir vn certain écrit fait de nouueau contre moy fur vne queflion fort importante. Car pource que vous auiés cette opinion que. la matière dont il s'agilîoit eftoit tellement éclaircie parle dernier liure' que i'en auois composé , qu'il i%e s'y* pouuoitplus rien adioufter de confi- derable , vous m'exhortiés à donner' déformais mon temps à d'autres occu- pations. Et dautant que Monfieur Di- ierote vous auoit die que le m'eftois

Chrestïenne. I. l?AKr7 y propofé de faire vne Morale Chreftiê- ne^dans laquelle Tédifierois fur les fon- démens de la Nature les enfeignemens qui nous ont efté donnés par la Reue* -lation , peu s'en faut que vous ne me coniuraffiés de laifTer ou de différer au moins toute autre méditation , pour m'appliquer à celle , dont vous ef- periés queles gens de bien tireroient vne vtilité finguliere. Chiand donc vous viftes que ie me lailiois perfua- der à vos raifons , vous ne me laiffaftes. point que vous n'euffiés tiré de moy la promeffe de m'adonner à cet ou- urage au pluttoft , &: m'engageaftes mefme à vous en faire le plan , pour vous en mettre quelque idée généra- le dans la penfée. Or eftoit-ce alors mon deffein de retourner à quelques mois delà dans voftre Maifon , & dV- fer de la grâce que vous me faifiés d'y pouuoir feiourncr quelque temps, pour y vacquer à la compofition de cette Pièce. En quoy véritablement ie regardois bien àlaffermiflement de ma fanté , & au repos que ic trouuçr rois en vn lieu les dirtradions qui

A 3

^^ r A Morale

ne me font que trop ordinaires , ne xne pourroient fuiure. Mais il eft vray pourtant que le principal fruit que l'en attendois confiiloit en ce que i'efperois y ioûir de Thonneur de vo- ftre conuerfation à loifir , Se que vos cxcellens propos , &: les belles &: Tares connoiflances que Dieu vous a données en toutes cliofes , m'ayde- royent&à conceuoir &: à difpofer ce que iauois à dire fur ce fujet, &:m'y donneroyent des ouuertures & des éleuations d'efprit aufquelles fans cela ie ne me pourrois pas fi bien porter de moymefme. l'adioufterois encore vo- lontiers à cela 5 fi voftre exemplaire modeftie me le permettoit, que voftre vieniefme, & voftre vertu, quand ie Faurois prefente deuant les yeux > me feroitvne aydemcrueilleufeà ce que ie me propofois ; à peu prés comme fi vn ftatuaire tiroit les préceptes de {oK art, non tant desreigles &: des no- tions qu il en a dans Timagination, que de la contemplation de l'image d'vn héros, das laquelle foit Polyclete, foie Phidias, ou quelque autre célèbre

Chrestienne. I. Part. 7 fculpteur, les auroit parfaitement mU fes en vfage. Et par ce que la relation des maris à leurs femes, &c des femmes à leurs maris , des enfans à leurs pères, & des pères à leurs enfans , & la con- duite régulière d'vne famille Chre- ftienne &c bien moriginée, tient vne grande place dans la Morale , & fur tout , que les vrays &: finceres fenti- mens de la pieté. Se les motifs qui nous y portent, y doiuent auoir le premier rangjie m'attendois qu eftant incorpo- ré pourvu temps dans voftre maifon, ie n'aurois finon à confiderer toutes les parties de fon adminiftration , quand ie viendrois aux lieux ie dois in- férer les préceptes qui regardent ce point là, dautant qu elle en eil: com- me vnaccomply modelle à toutes les autres. Mais les fondions de ma charge , &c les diuerfes occurrences qui fe font rencontrées depuis,n'ayant pas permis que ie receuffe ce conten- tement , ny que i'allafle prendre pof- feiTion de lappartement que vous m'auiés fait dreiTer, ou bien ie feray contraint de dilFerer encore Texeçu-

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? laMorale

tion de la piomeiTe que ie vous fis alors 5 ou ie veux m'en acquitter, il faut que ie me refolue à me paffer de ces aides &c de ces accouragemens que ie pouuois tirer de voftre pre- fence. Or ie fçay bien, Monsievr, auec qu elle ardeur , &: , fi ie Tofe dire ainfî 3 auec quelle impatience vous attendes les productions de ma mé- ditation fur cette matière, & ie crains que Toccafion ne fe rencontre pas bien-toft de me preualoir de ces auantages que i'auois efperés de vo- ftre communication. C'eft pourquoy Dieu voulant 5 ce femble , par fa bon- té me procurer quelque repos, ie me difpofe, moyennant fa grâce, à met- tre la main à Texecution de mon projet , S>C à tafcher de fatisfaire à l'attente de mes amis , &: particuliè- rement à la voftre. Neantmoins , fi ie ne puis pas effediuement ioùir ny de voftre maifon ny de voftre con- uerfation , ks mouuemens de mon efprit ne laifferont pas d'y faire con- tinuellement des reflexions en écri- iiant , Se la fouuenance que l'en ay

Chrestienne. I. PartI ^ fuppléerâ au défaut de la prefencc des chofes mefmcs. Or pour m'y obliger d'autant plus eftroit terrien t, ie me figureray d'abord que vous me faites la faueur tantoft de me condui- re au long de vos efpaliers , tantoft de me promener fous les ombrages de voftre bois , tantoft de me con- ûict à prendre le frais &c le repos de vos cabinets , èc tantoft de me faire tournoyer comme la Saiure autour ôc par le trauers de voftre prairie , en contemplant Tagréement qu'y donne la perfpediue de vos pauillons &: de vos tours 5 quand elles font ombre au Soleil couchant -,- & que cependant vous aucs la patience de m'ccouter tralttant familièrement de la Morale à peu prés en cette forte.

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DESSEIK

io lA Mo RALE-

DESSeiN ET DIFISIO?i^ de l*Ouurage.

I Topinion que Ton at- tribue à Canieades , &: à quelques autres d'en- tre les Anciens , eftoit véritable , c cft qu'il n'y a point de difFerence naturelle entre le Vice &: la Vertu, ^ que la diftin- â:ion qu'on y met, ne dépend finon de rinftitution des Legiflateurs qui ont les premiers eftabli les Republi- ques , il ne feroit ny neceirairc ny à propos de reprendre la Morale de fi haut que ie me le fuis proposé. Car i*ay deflein d'expliquer dans la pre- tnierc partie àc monTraitté, quelles ihftaiâions la Nature donnoit au commencement aux hommes , pour les formcf à fuiure la Pieté & la Vertu, auant quil y euft aucune République

Chrestienne^ I. Part^ il fondée en la terre , ou qu'aucun Le- giflateur d'entre les hommes euft pen- sé à leur donner des régies de leurs aîlions. De forte que ce feroit fore inutilement que ie chercherois des enfeignemcns au bien , &: des raifons de fe détourner du mal, dansTEcolc •de la Nature , fi elle n'en donnoit du tout point ; 3c pour expliquer la Morale à £cs citoyens , il ne feroit ncccffaire finon d'eftre bien verse dans les Couftumes de fon pays , ou dans les Ordonnances de fon Prince. Mais i'ay toujours efté dans ce fen- timent, que comme la différence qui cft entre le menfonge &:la vérité , ne dépend pas de l'imagination de l'hom- me 5 mais de leur naturelle oppofition, tellement que la poffeffion de la vé- rité perfedionnc nos cntendemens, au lieu que Fimpreflion du menfon- ge les altère ôc les défigure : ainfi la Rature des chofes a mis vne telle con- trariété entre le vice Sc la vertu, qu'en l'vne eft laperfeftion de nos volontés &: de nos affeûions , en l'autre eft la corruption qui le^ fait dégénérer de

il L A M O R A L E

leur excellence naturelle. C eft pouf^ - quoy ie veux rechercher en premier lieu queJles inftruftions la Nature euft données à Tliomme , s'ilfuft de- meuré en Teftat de fa création , pour s'y maintenir en la qualité d'eftrè par- faitement homme de bien , &: iufques cette première inftitution hou^ euft peu porter pour eftre agréables à la diuinité , & pour reprefenter Tima- ge de fa fainteté dansnoftre conduite. Et datrtant que la Nature n'eft pas demeurée en fa première conftitution, & que le péché Ta précipitée de la fixn- plicité de fon intégrité , dans la mi- fere de la condition en laquelle nous voyons toutes chofes, d'où refulte la reuelation de quelques obieds dont on n'auoit point de connoiilance au commencement, 6c les hommes ont entr'eux des relations que la première création Se Teftat de leut mnocence ne leur auroit point don'- nées , ie deftine la féconde partie de ces Difcours aux reflexions qu'il faut faire fur ces chanp-emcns. Car puis que ccsnouuelles cpHnoifiances, ces

'^ ChRESTIÈNNE." ~I. ^PARt^ ÏJ

telations iufques alors inconnues , &c CCS obieûs invifités auparauant nou$ obligent à des vertus qui n'auoienr aucun vfage auant le péché ^vn hom- me ne peut eftre parfaitement hom- me de bien, fi aux chofes aufquelles l'innocence de la Nature nous deuoit porter, il nadioufte encore Fobfer- uation des deuoirs qu'exige la con- dition dans laquelle elle eft tombée. En troifiéme lieu 5 peu de gens igno- rent la différence que Dieu a mife entre les Nations aufquelles il n'a rien proposé à contempler finon ce grand ouurage du Monde, &c le peuple qu'il auoit autresfois choifi dans la pofte- rité d'Abraham pour luy communi- quer vne déclaration plus cxaftc de fa volonté. Encore que fi les hommes euffent efté bien attentifs à la con- templation de rVniuers^ils en enflent peu recueillir des lumières excellcn- tes en ce qui eft de la Pieté (k: de la Vertu , fi eft-ce que l'Ecole qu'il a- uoit ouuerteen Ifraelpour y inftruirc les hommes par le mihiftere de ics feruiteurs , auoit des auantagcs qui

Î4 LA MoitAtE

fan$ contredit ne fe peuucnt affcs cftimer. Tellement que fi aux en- feignemens que Tvn & l'autre de ces deux eftats de la Nature , pouuoic donner aux Ifraëlites aufli bien com- me aux Gentils , ils n eufl'ent adioufté les aûions aufquelles vne plus parti- culière éducation les obligeoit , ils n'euflent pas fatisfait à leur dcuoir, &: n'eufl'ent pas remply à beaucoup préc toute la mefurc de leur Morale. Puis doiic que bien qu ils ayent efté a/Tu- jettis à beaucoup de Loix de robfer- uation defquelles nous fommcs à cet- te heure delmrcs , fi clt-ce qu il en eft demeuré plulieurs que nous auons communes aucc eux , & que les Hures qui les contiennët nous ont efté don- nés comme à eux pour en tirer les reiglcs de noftre vie , & les exemples de nos aftions, il eft comme abfolu- ment neceflairc que i' examine quelle eft la mefure de la reuclation dont les luifs ont furpafle les Gentils en cet égard , & quelle eft ou la nature ou le degré de la pieté 6c de la fain- teté dont ils les ont deu iurmontcr

Chrestienne^ I. Part7 ï| en confequence. Enfin parce qu'où* tre que nous fommcs hommes , ce que nous àuons eu de Dieu lors que nous auons efté créés, & que nous fommes pécheurs , ce que nous tirons de noftre premier Père Adam, com- me tous les autres hommes en tous les fiecles ; &: que les inftrudions don- nées aux Ifraëlites autresfois nous ap- partiennent en grande partie , ce qui nous oblige à mefme pieté enuers Dieu 3 &: à mefmes deuoirs enuers nos prochains, nous fommes encore Chreftiens , ce qui nous élcue beau- coup au deflus du refte du monde-» la Morale que ie me propofc d'expli- quer icy ne feroit pas véritablement Chrefticnne , comme le tiltre que ie luy donne promet quelle le fera, fl ie ne m'arreftois auflî à expliquer ce qu'il y a de particulier en cette con- dition , & à quoy cette diuine appel- lation nous oblige. Car à proportion de ce que les obiets qui nous atti- rent à la pratique de la Morale , font par la reuelation du Chriftianifmc deuenus plus beaux 6^ plus lumineux.

ï A MOR A LE^

^ mefme proportion doiuent eftre plui vifs , plus vehemenSj&plusconftans les mouuemens qu'ils eoccitent en nos âmes. Dans cette, dernière par- itie de ma méditation le traitteray donc y Dieu aidant , de ce que la Religion Chreftiennc a adjoufté à toutes les Difpenfations précédentes pour raccompliiïement des vertus, de forte qu'en ayant tire la première idée des pures inftitutions de la Natu- re, &: y ayant de plus mis les nouueaux traits que le changement qui y cft arriuc nous a fournis , & puis ayant imbu ôc coloré ce tableau des belles xhofcs dont les liurcs de l'ancienne Loy fourniffent les enfeignemcns,i'en rchaufleray encore l'éclat par les in- ftrucbions &: les exemples du Nouueaii Teftament , & donneray par ce moyen autant que ie pourray à l'Ethique des Chrcrdens toute laperfeftion dont la riaturc humaine eft capable en cette .vie. Or encore que toutes les autres parties de monouurage feront, com- me i'efpere , confiderables en elles mefmes 3 par ce qu'elles contiendront

les

ïe^ commencemens Se les progrés de cette fouuerairie perfedion à laquelle riiomme doit monter; fi eft-ce que la dernière eft le but auquel elles ten- aient, le ne craiûdray donc pas de leur donner à toutes ce nom de Mo- rale Chreftienne, dautant qu'on y en verra les principes &: les fon démens, fans quoy TEthique du Cliriftianifme n'auroit pas vn côrps afles complet, ny d'vnc ailés ferme confiftance. Et heantmoins ce fera proprement à la iierniere que cette appellation con- tiiendra , parce qaon y trouuera paracheué ce que les autres n'auront qu ébauché , autant que la mefure de la reuelation l'aura peu permettre en chacune»

ûàààààk'k'àààÈàÈààà

DE L'HOMME ET DS^

fcs principales facultés^

CEux qui traittent de la Morale dans les Efcoles, ont accouftumé d'iinirer Ariftcte aux liures qu'il en

B

l^ La Mo RALE

a écrits à fon fils Nicomâchus ^ &: <îé commencer par la confideration de la félicite de riiomme5&: de la derniè- re fin defes actions. Car ils difent qu6 c*eft la méthode qu il faut fuiure en expliquant les difciplines pratiques &qui fe reduifent à Tadion, au lieu que dans celles que Ton appelle con- templatiues , dans lefquelles on fe contente de la connoiflance de fon obieû y on fuit vne traditiue contrai- re y en commençant par les principes les premiers Se les plus fimples de la fcience , Comme on entame la Géo- métrie par la définition dVne ligne^ d'vnefuperficie^&id'vn corps. Qupy que le defleinqueic me fuis propofé ne m'oblige pas à garder inuiolable* ment tous les préceptes de Tart, & que pourueu que ie reuilîlTe à donner ceux qui font :capables de former vn par- faitement homme de bien, il ne m'im- porte pas de manquer à cette fcru- puleufè exad'itude à laquelle s'affujet- tiflent ceux qui veulent pafTer pour fçauans , ie fuiurois pourtant cette reigle , parce que ie la trouue raifon- --

Chrestienne^ I. .Part.' x^ îiable , fi ie n eftimois neceflaire de dire auparauant quelque chofe de la ïiâture de rhomme &: de fes princi- pales facultés. Mais daucant qu'il femble que Tliomme nous dcuroit cftre mieux connu que non pas les autres chofes , parce que nous fom- mes intimes à nous mefmes , au lieu que les autres objets font hors de nous , &:que d'ailleurs la connoiffan- cedenoftreeftre&des principes d'oil procèdent nos aftions , peut beau-- coup contribuer à l'intelligence delà principale &c dernière fin que nous deuons nous y propofer , ie penfe guonne peut trouuer mauuais queie faife de cette confideration vne e{pe- ce d'introduûion à la Morale.

le ne m'arrefteray pas à dire que rhomme a l'eftre commun auec tou- tes chofes ^ &la vie vegetatiue pa- reillem.ent commune aucc les plan- tes y comme les fens intérieurs 6c ex- térieurs auec les autres animaux ; êc ne difcourray point icy des facul- tés de l'ame entant que c'eft par elle que le? homm.es fe neurriffcnc , ^

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20 LA Morale

qu'ils croiffent iufques à la perfeftioit de la ftature que la nature leur a or- donnée 5 àc qu'ils font capables de produire leurs femblables par la ge- jieration. le ne diray rien de la nature des obieûs qui font deftinés à (es fens, ny de la façon de leur opération, ny généralement de tout ce qui touche la Pliyfique , & non la dodrine des mœurs : parce que fi dans toute» ces cliofes il y en a quelcunc qui puiffe feruir à mon deffein , la con- noiflance générale que tous les hom- mes en ont , mefmes fans auoir mis le pied dans l'Ecole dAriftote, pour- ra fuffire à chacun pour luy faire com- prendre mes intentions. D'entre les facultés que l'homme a communes auec les beftes , l'appétit qu'on ap- pelle fenfîtif eft prefque le feul qu'il eft neceffaire d'expliquer en cette matière, dautant qu'vne bonne par-^ tie de la Morale eft employée à le gouuerner & à le contenir dans le deuoir. Neantmoins parce que cet appétit refpond à deux fortes de Puilfances, dont l'vne eft la fantaifie^

GhrestiënneT I. Part: 'qai l'excite dans l'homme à peu prés de la mefme forte qu'elle fait dans les animaux ; l'autre eft ce qu'on appelle l'entendement , qui le doit régir en mous d'vne façon çonuenable à la con- dition de l'homme; &: que c'eft en cet cgard qu'il çft la matière de la contem- plation du Philofophe Moral 5 ie re- mettray à en parler lors que i'auray à expliquer quelle puifTance la Raifon peut auoir fur luy , & coiiiment il eft dans fa dépendance. le confiderc donc icy l'homme entant qu'il eft doiié d'intelligence & de raifon ; ce qui le met fi haut au deflus de la con- dition de tous les autres animaux , qu'il l'approche de celle des plus fu- blimes intelligences. En efFeâ^ bien que ces intelligences foyent feparées de la matière , ^ que n eftans point obligées comme nous à fe feruir d'or- ganes corporels pour la contempla- tion d-ç leurs obieds , l'application qu'elles y font de leurs facultés eft fans doute plus forte , plus efficace, & plus fruaueufe, fi eft-cc qu'en ce qui eft de la pieté nous auons meft

B ?

t~i. ÎA MORALB

rnes chôfes à confiderer , & à peii prés mefmes reflexions à y faire. Ec pour ce qui eft de l'exercice des ver- tus morales , à la vérité les obieds Se les motifs que nous en auons , font diuers , &: par confequent nos vertus & les leurs font auflî d'vne efpece en quelque forte différente. Neant- moins , puis qu'en noftre nature nous femmes capables des vertus qui luy conuiennent , comme les intelligen- ces feparées de la matière font capa- bles de leurs vertus en la leur , c'eft vn argument indubitable que nous approchons bien fort de leur condi- tion 5 ôc que nos facultés font fembla- bles. Car dans les autres animaux, les chofes que nous appelions d'ordi- naire de ce nom de fantaifie & d'efti- mation , non feulement ne s'éleuent îamais iufques que de connoiftre nettement les règles de la vraye vertu afin d'en polfeder le corps, mais mef- mes elles ne donnent en leurs opéra- tions aucune iufte occafion de foup- çonner qu'elles en appercoiuent vne ombre. Car pour ne rien dire de la

CHJR^ESTIEîIltE. h Part? ij Diuinité , dont les beftes n*ont iamais eu la moindre notion , il n'y a que rhomme feul entre les créatures cor- porelles 5 qui remarque la difFerence que la Nature a mife entre le vice & la vertu , ny qui donne aucune mo- dération à fes appétits pour auoir eu quelque lumière de la difformité de l'vn, 8c de l'excellence de TautrcQuc fi les beftes font quelquefois paroiftre quelque retenue dans leurs pafïîons, cela vient ou de la laflîtude, ou de la fatieté , ou de la crainte du foiiet ôc des autres chaftimens , & non de ces nobles & releuées confiderations que la raifon fournit aux hommes.

Partant , afin de commencer par l'examen des puilTances de l'ame de l'iiomme^fi vous les confiderés vn peu attentiuement vous trouuerés qu'il y en a de deux fortes : car les vnes font d'elles mefmes participantes de la rai- fon, & les autres en font dépourueuës. Celles qui en font d'elles mefmes par- ticipantes , font l'Entendement , proprement elle à fon fiege, ôc elle exerce fes fondipns -, U la volonté;^

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54 : . /lï^ Morale qui quant à elle ne raifonne pas, mal? qui pource qu elle dépend abfolu- ment de Fintelieft^eft ordinairement appellée du nom d'appétit raifonna- ble. le dis qu elle dépend abfolument de rintelle£t, non pas feulement par- ce qu'en fcs opérations elle fuit tou- jours le mouuement de la Raifon, mais encore parce qu'en quelque fa- çon elle luy doit la prodviâion de fon .eftre. Car outre qu'il n'eft point d'Entendement qui ne foit accom- pagné de volonté , ce qui monftrc aflés qu€ ces deux facultés font infe- parables , vous ne faunes voirs^iîgurer aucune intelligence toute pure & fans Appetit.laquelle vacque tant foit peu de temps à la contemplation d'vn ob- ie£t digne d'amour ôc de vénération, comme eft la Diuinité , qui d'elle mef- me ne s'enflame incontineot de quel- que ardeur de diledion enuers luy , 6c qui ne s'eftende tant qu'elle pourra poiu' fe l'vnir &: pour s'y ioindre. Tellement que comme dans la natu^ re des corps toute vraye lumière eft accompagnée de quelque chalevir^ou

Chrestienne; L Part^ ïy bien au moins elle en produit {es rayons s'vniflent &: fe renforcent; dans le monde intelligible des efprits tout entendement efl accompagné de quelque amour , ou s'il n'en auoit pas efté doiié dans la première origine de fa création, il en produiroit de foy mefme lors qu'il viendroit à s'appli- quer attentiuement à la contempla* tion des chofes aimables. Et c'eft ce qui a fait douter à quelques grands Philofophes , fi ce font deux facultés de nos âmes, ou fi ce n'eft qu'vne puif- fance feulement , qui exerce diuerfes opérations félon la diuerfité de la na- ture ôc des qualités des obiets fur lef- quels elle fe déployé. Parce qu'il fe peut faire , difent ils , que lors qu'il n'eft queftion finon de iuger de la nature ÔC des qualités des chofes, vnc mefme faculté s'appelle de ce nom de Raifon ou d'Intelled, qui fe nom- mera Volonté ou Appétit, lors qu'elle s'en voudra faifir , & s'en mettre en iouïflance. A peu prés com^me c'eft vne mefme main qui connoift le froid & le chaud dans les corps qui luy font

ïf Îa Morale

offerts à toucher , &: qui reçoit ou f eiettc ceux dont les qualités luy font ou déplaifantes oni agréables. Il eft pourtant vray que dans toutes les au- tres chofes nous iugeons volontiers de la différence des facultés par la diuerfîté des opérations. Et dans la mainmefmej bien que ce ne foit qu*vn jnefme fuiet qui iug^ des qualités des corps par le toucher , &: qui les em* poigne ou qui les reiette , il n'y a per- îbnne qui ne recognoiffe qu*il y re- fide deux puiffan ces. Autre fans dou- te eft celle du fentiment, par laquelle BOUS difcernons le froid 5c le chaud, 6c autre celle qui produit le 'mouue- ment par lequel la main s'eftend ou fe ferr'e. Ce fera donc bien vne mef- fne amc qui iugera de fes obiets par Tintelligence , 6c qui les appetera pat* la volonté : mais l'intelligence de la volonté feront deux facultés pour- tant, par Tentremife defquelles Pâme produira ces deux opérations diftin- ttes. Et véritablement il femble qu'en cela Dieu 6c la Nature ayent voulu îrionftrer leur richeffe 6c leur abon-

Cmrestienne" t. pARfr 27 flânce , qu'au lieu que les hommes font bien fouuent obligés de faire feruir vne mefme chofe à diueis vfa- ges, comme Ariftote dit de quelques vns j qu'ils fe femoient dVne mefme épée à la guerre Se aux facrifices , la Nature employé touiours vne feule chofe à chaque fon£bion , afin qu'elle la face d'autant plus alaigrement , Se que diuerfes adions ne s'embaralfent point les vnes les autres. Elle en a ainfi particulièrement vfé dans la conftmaion des animaux , Se nom- mcment en ce qu'elle leur a donné d'aucunement correfpondant à ce qui s'appelle Entendement &: Volonté en l'homme. Car c'eft dans la fantaific qu'ils reçoiuent les images des chofes qui font expofées au iugement de leurs fens : & c'eft par l'appétit fenfitif, comme par vne autre puiffanCe, qu'ils S'en approchent ou qu'ils s'en recu- lent , qu'ils les recherchent ou qu'ils les reiettent, félon qu'ils les trouuent propres ou nuifibles à leur conferua- tion. Car quant à ce qu'on dit qu'il ;efl malaifé de comprendre quelle fu*

£« ÏA Morale

bordinâtion il y peut auoir entre l'en* tendement de la volonté , pour faire que I* vne dépende de Tautre, 6c qu elle reçoiuc fcs mouuemcns , Taduouc que c^ft vne chofe qu'il ne nous eft pas fort aifé de bien expliquer. Parce que fi la Volonté eft vn appétit rai^ fonnable , comme tout le monde dit, il faut qu il fe meuue par la raifon. Or la raifon ne peut agir fur cet ap- pétit finon dVne feule façon qui con- nient à fa nature : à fçauoir par la ^leprcfentation des motifs que les cho- fes mefmes luy prefentent de les iu- ger bonnes ou mauuaifes , à recher- cher ou à fuir. Comment donc eft ce que Tappetit , qui de foy mefme n'eft point vne faculté connoiffantc ^y intelligente , fera capable de re- ceuoir l'imprellion de ces motifs?Mais û la difficulté qu'on rencontre en Texplication delà manière d'vne cho- fe 5 eft vne fuffifante caufe la re- buter 5 à peine y-a-t-il aucune vérité qu'on puifle iuger receuable. Quel- que fùbordination que la nature ait eftablie entre les caufes de cette forte,

mil eft-ce qui a iamais bien compris quel eft leur attachement , & la bou- cle ou le reflbrt par laquelle Tvne donne l'impulfion , ou fait fentir la vertu de fon attradion à l'autre? Sçait- on comment le premier mobile em- porte auec foy les fpheres d'embas ? Auons nous iufqu icy^ bien entendu comment Cette volonté dont nous par- lons , commande à la faculté qu'on nomme Locûmome , & agiteles efprits animaux en nous, pour donner à nos membres le branle ^ le mouuement > Sçait-on bien l'anfe par laquelle elle prend l'appétit fenfitif , pour le me- ner où il plaift à l'entendement ? Eu vn mot , dans cette merueilleufe ma- chine de l'homme, a-t-on bien apper-- ceu comment les roues dont nos alli- ons dépendent , font infercés de en- dentées les vues dans les autres , pour faire que les inférieures fuiuent les in- clinations de celles qui font plus haut? Certainement, comme l'ay dit.la fan- taiiie & Tappecit fenfitif , ont autant de rapport auec nos facultés raifon- nables , que des chofes qui .font mfe-

^ E A Morale

parablement alliées auec la matîefës en peuuent auoir auec celles qui parce qu'elles font fpirimelles , peu- uent fubfiftei fans le corps. Et corn- nie la Volonté efl: raifonnable dau-» tant qu'elle ne fe meut que par llnu- pulfion de la raifon , cet appétit n'efl: appelle fenfîtif finon dautant qu'il ne s'excite que par les images des obiets qui fe recoiuent dans les fens inté- rieurs. Or n'eft il gueres plus diffici- le de comprendre comment les efpe-» ces intellectuelles des chofes paffent de l'entendement dans la volonté pour la mouuoir, que de fçauoir com- ment les reprefentations des obiets fenfibles Se corporels coulent de la Fantaifie dans Tappetit fenfîtif, pour luy en donner Tamour ou Tauerfion qu'elles y engendrent. Mais il n'im- porte pas beaucoup à la Morale que ce foyent deux puifTances diftindes, ou bien vne feulement : tant y a que l'efFed de ce que nous appelions Vo- ionté^eft d'embraffer ce que nous iu- geons eftre bon ^ Se de reietter ce qud nous croyons eftre mauuais, Se d'eftr^

Chrestienne^ Î. Part"." au deffous de T Entendement la mai-» ftrefle roue de toutes les aftions quô nous faifons entant qu'hommes.

Quant aux puifTan ces de nos âmes qui d'elles mefimes ne font pas doiieés de raifon , elles font de deux fortes. Car il y en a quelques vues qui non feulement n'ont point d'intelligence en elles mefmes, mais encore fur qui l'intelligence n'a point de pouuoir : & telle eft la faculté vitale, qui fe ma- îiifefte au mouuement du cœur j ôz la nutritiue , qui fe déployé principale- ment au foye : &: celles qui leur peu-- uent eftre femblables. Car noftre entendement a fi peu d'autorité fur ces facultés ^ que la vitale n'agit pas moins au cœur encore que nous n'y penfions pas ; 3c la nutritiue n'agit point il bien qu'à Tlieure que nous dormons , qui eft vn temps auquel les fondtions de la raifon cefTcnt. La confideration donc de ces facultés ne touche en rien du tout à la Morale, C'eft proprement à la Phyfiquc qu'el- le appartient, &: s'il y arriue quelque defordre oti quelque incommoditC3

fi ï A Morale

les Médecins y doiuent 'remédier , non les Théologiens, ou les lurifcon-* fuites Se les Philofophes. Mais il y €n a d'autres fur lefquelles l'expérien- ce monftre que Tentendement a de la domination pour les reigler 5c mo- dérer 3 comme il le iuge neceffaire. Tellement qu'au moins font elles rai- fonnables iufques à ce point , que la Nature les a rendues capables d'obeïr à Tempire de la Raifôn , pourucu que quant a elle elle fe férue bien de fes auantages. Dans le langage de l'E- cole on les appelle ordinairement /V- rafcihle &c la Concupfcihle ^ par ce qu'il n'v a aucune des émotions qui naiflent dans cette partie de nos âmes , que Ton ne croye fe pôuuoir rapporter, foit à la Colère par laquelle nous nous émouuons contre ce que nous iugeons cftre mal ; foit à la Conuoitifc par la- quelle nous nous portons à la recher- che du bien que nous trouuons fou- haittable. Ceux qui ne veulent pas que Fentendement bc la volonté fa- cent deux facultés différentes , au- roient autant ou plus djC fujct de méf- ier ces

Chrestienne7 I. Part. 55-^ ïcr ces deux parties de Tappetit feniî- tif en vne. Car fi vne meime puif- fance de la Raifort peut auoir deux difFerens noms félon fes deux di- uerfes opérations , de iuger de la qualité de fe^ obiers , ôc de les fuir ou defirer, fuiuant la fentence qu'elle mefme en a prononcée ; vn mefme appétit fenfitif en pourra bien auoir deux pareillement , félon qu'il fe por- tera vers des biens dont il peut iouïr fans difficulté , ou que pour paruenir à la iouiflance de ce qu'il appete comme bien , &: pour euiter la fouf- france d'vn mal qui luy cauferoit de la douleur , il fe roidit pour fur- monter les difficultés ôc les empef- chemens qui s'y prefentent à com.- battre. Et ie voy quelques nouueaux Pliilofophes qui pour ne fuiure pas le chemin battu , difcourent autre- ment de la nature deîappetit fcniitif, ôc donnent & vn autre eitrc , ^ vn autre ordre à nos paffions , que ce- luy qui leur a efté attribué par les Anciens , &: qui s'écartent icy , com« îue prefque par tout ailleurs ^ des fen-

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34 La MoR A LE

timcns de Platon 6c d'Ariftote. Ce n eft pas mon intention d'examiner icy s'ils ont raifon , &: quelques cho- fes qu'ils ayent ingenieufement inuen- tées des caufes de nos paflîons , quel- que ordre qu'ils fuiuent en leur diftri- bution 5 cela ne contribuant du tout rien à rendre vn homme plus homme de bien ny plus vertueux, ne regarde ny prés ny loin le deffein de ma Mo- rale. Au fonds 5 quand on aura bien tovit épluché, ie croy qu'il ne fe trou- liera point de plus entière ny plus commode partition de nos appétits, que celle qu'on a iufqu'icy fuiuie dans les Ecoles , quoy que ie penfe qu'on les pourroit bien vn peu plus commodément &c moins barbaremenc nomeren praçois.Car la partie Irafcihle fe pourroit plus raifonnablement ap- pellera Courageufey parce qu'il y a des occafîos elle fe déployé fans colère, &L proprement le courage a lieu : comme quand il faut luit ter auec re- folution contre l'effort delà tempefte, contre laquelle pourtant noftre colère ne s'émeut, point. Et la Çoncu^ifcibU

CHkEStiENNÉ. i. Part. jj' fe pourroit appeller la Conuoiteufe , par- ce que conuoiteux eft vn mot Fran- çois , qui reprefente fort bien la na- ture de cet appétit. Neantmoins, ces mots barbares eftans vfités ^ ie ne fe- ray pas difficulté , les occafions s'en prefenterdnt , de me feruir indif- féremment des vus &: des autres.

Ces deux parties de Tappctit fen- fitif 5 qui comprennent fous elles tout ce qui regarde nos paflîons, font donc irraifonnables d'elles mefmes , com- me il fe void dans les beftes , en qui elles fe trouuent auffi bien qu'en nous: mais neantmoins en l'homme elles font capables de s'affuiettir à la rai- fon , quand elle y veut vfer de l'au- torité que la nature luy a donnée. Car fi elles s'emportent trop , elle les peut reprimer ; elles font trop langui f- fantes , elle les peut exciter : fi elles s'attacheht trop à vn obied , elle les en peut diuertir , & les y ramener quand il en eft temps j fi elles en em- braffent quelcun dont elles fe doiuent abfolument abftenir , elle les en peut détourner , ou pour les contenir fans

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^ ' E A Morale,'

émotion, ou pour les porter fur quel- que autre cllofe. Ariilote reprefente l'autorité de la raifon fur cette forte d'appétits 5 par la comparaifon de cel- le dont vn père vfe enuers fcs petits enfans. En leur bas âge ils ne fça- uent pas eux mefmes iuger de leurs propres actions , & la Colère , Se la Conuoitife font les deux reflbrts dont procèdent tous leurs mouuemens. Neantmoins ils les retiennent Se les gouuernent félon qu'ils voyent que leur père le veut , & la déférence qu'ils ont pour fon autorité, fait que fa Raifon , qui eft au dehors d'eux, tnanie leurs petites paflions à peu prés comme fi elle leur eftoit intime. Et bien que robelfl'ance qu'vn clieual rend à l'écuyer qui le monte, ait quel- que chofe de difiemblable d'auec celle que l'Irafcible &: la Concupif- cible rendent à la Raifon en nous, parce qu'il n'y a quafi que le chafti- ment qui le reduife5au lieu qu'en vne ame bien compofée , le feul clin de l'œil de l'entendement, s'il faut ainfi dire , &: le feui mouuement de Ja Vo-

Chrestiennb I. Part^ 37 îonté 5 reigle &: modère leurs émo- tions 5 fi ne laiiTe-t-elle pas d'en re- prefenter en quelque forte limage. Car encore que le clieual n'ait point de raifon ^ il conduit pourtant fes mouuemens comme sil entendoit rai- fon 5 de l'entendement de Técuyer s'adiufte tellement auec le prochain principe des actions du cheual , que vous diriés qu'ils font foufordonnés l'vn a l'autre d'vne correfpondance naturelle. Or fi cela fe peut entre l'homme Se le cheual , qui non feu- lement font deux indiuidus differens, mais deux chofes d'efpece entière- ment diifemblable , combien mieux s'accorderont ces deux puiflances dans vn feul Se mefme fu jet^oii la Na- ture a conioint ces deux efpeces en vne ? Et plus nous nous figurerons que l'homme eft parfaitement bien conftitué , comme il eftoit en Teilat de fa première creation^plus aifément conceurons nous la iufteile de cette fubordination. Car comme dans la Phyfique les corps les mieux compo- fés font ceux les elemens font:

fi

3? I A M O R A I E

meflés fi- iuftement , de leurs qualité^ fi parfaitement bien contemperées ^ qu'où bien elles ne fe combattent du tout point 5 ou bien au moins leur contrariété ne produit aucun effeft confiderable ny fenlible ; au lieu que leur contraftcjS'il eft tant foit peu ma- nifefte, eft ou la caufe de leur corrup- tion , ou la marque qu'elle eft desja commencée : Ainli dans la Morale les âmes les mieux difpol^es font celles: ces facultés gardent le mieux le$ reigles de leur fubordination . au lieu que le conflid de leurs opérations eft vne caufe de la deprauation de leur fujet , ou vne preuue certaine qu'il eft declieu de rmtegrité de fon ori- gine. Et puis que nous confiderons icy rhomme en fon mtegrité , il faut que nous le nous figurions fi exafte- ment bien compofé, & les facultés ir- raifonnables de fon ame fi foûmifes à fa Raifon , que fans aucune conteftar tion elles dépendent de fon empire.

le ne veux point icy m'amufer à techerclier, comme l'on fait ordinal-^ rement dans l£s EfcoleS; fi cet empire

Chrestienne? I. Part? 59 ^c la Raifon fur les appétits ^ eft ou defpotique , ainfi qu'on parle , c'eft à dire tel qu'vn maiftre l'a fur fes ef- claues ; ou politique ^ c'eft à dire , tel qu'vn bon Roy l'exerce fur fes fujets. Ceux qui pour monftrer que c'eft va empire defpotique ^ fe fondent fur cette allégation , que comme le valet n'vfe nullement de fa raifon enTobeif- fance qu'il rend à fon maiftre , mais s'y porte Amplement comme fi c'eftoic vn inftrument que le m.aiftre manie à fa volonté , femblent tomber dans vn inconuenient fort confiderable. Car il y a cette différence entre ces cliofes 5 que fi les efclaues ou les in- ftrumens refiftent à la volonté de ce- luy qui leur commande ou qui les manie , il ne les ramené pas à leurs fondions autrement que par vne con- trainte phyfique , comme on parle , c'eft à dire , par l'application d'vne force qui les emporte , & à laquelle leur reîiftance n'a point de propor- tion. Ou fi le maiftre, & celui qui les manie , ne les peut ramener à leurs fiondions ., ce n'eft pas que la raifon

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40 XA Mo RALE.

luy manque quantàluy , mais c'efk qu'il n'a pas dans le bras , &: dans les autres aides efquelles la force confifte , ailés de vigueur pour les remuer , ou pour les ranger à ce qu'ordonne fa jaifon. Au lieu qu'en la domination que la Nature a donnée à l'entende- ment fur les appétits , l'obeiflance vient de ce qu'ils font capables dere- ceuoir rimpreflion des raifons dont il s'eft luy mefme émeu , de forte que c'cft fans fouffrir aucune contrainte qu'ils obeiifent. Et fi les appétits s'é- chappent tV s'émancipent hors de la domination de laraifon , cela ne vient pas de ce qu'ils ayent quelque force phyfîque ; comme eft la pefanteur d'vxie hache 5 ou la vigueur du corps d'vn efclaue , auec laquelle les forces de l'entendement n'ayent non plus de proportion. C'eft que l'entende- ment mefme ne fe laifîe pas perfuader comme il faut par les raifons qui de- .uroyent faire impreflîon fur la Con- uoitife ou fur la Colère. S'il en auoic apperceu la vérité bien clairement , s'il les cmbrafloit étroitement comme

ChrestienneT I. Part? 41 il doit 5 s'il les retenoit auec conftan- ce 5 il n'y a point d'inclination dans les appétits , qu'il ne tournaft fans difficulté du cofté il fe porte luy mefme. Il eft vray qu'Ariftote ac- comparc l'effort que fait la raifon d'vn Incontinent à modérer la paffion de la partie Conuoiteufe de fon ame, à celuy que fait vn paralytique pour mouuoir les membres qu'il a perclus. Parce que comme le paralytique foû- leue bien peut eftre vn petit fon bras auec beaucoup de difficulté , mais vaincu qu'il eft par fa pefanteur , il le laifle retomber en fa pofture précé- dente ; ainfi l'Incontinent fait bien quelque effort fur fa paffion, pour la retenir dans le deuoir , mais ce n'cft que pour vn peu de temps , &c enco- re bien languiffamment , tellement que tout auffi toft elle luy échappe. Mais ce n'a pourtant pas efté l'inten- tion de ce Philofophe de comparer CCS deux chofes en tout &: par tout, comme fi elles eftoient entièrement &: abfolument fèmblables. Il a feulement youludire que comme dans le paraly-

41 LA Morale

tique il n'y a pas aflfés de forces phyfi- ques pour mouuoir comme il faut le bras perclus, dans Tlncontinent il n'y a pas afl'és de vigueur morale pour contenir la paflion en fon deuoir. Et que comme il ne coule pas de la telle allés d'efprits dans le^ bras pour l'irra- dier, &: pour luy donner le mouue- ment , il ne pafTe pas allés de raifons, ny affés fortement conceuës^de FEn- rendement dans Tappetit , pour l'ap- pliquer à fon obieâ ou l'en diuertir, ou luy donner comment que ce foitle ply de la pofture conuenable.

Ceux auflî qui tafchent de prou* lier que l'empire de l'entendement fur les facultés inférieures eft politique, parce qu'il paroift par expérience que l'obeilTance ne s'en enfuit pas toû- iours ; comme il arriue quelquesfois que les fujets apportent de la refiftan- ce à la volonté du Prince , &: fe fou- . îeuent contre fon autorité -, n'vfent pas non plus en cela d'vne raifon fort pertinente. Encore que les appétits demcuraifent abfolument afiuiettis à la Raifon , fon autorité ne laifleroit

CHRESxrïKNE. L Part.' 4j pas d'eftre politique pourtant ; com- me encore qu il y euft toûiours vne parfaitement bonne intelligence en- tre le peuple & fon fouuerain, le gou- uernement ne laifTeroitpas d'eftre po- litique broyai. Mais comme quand il arriue fedition en TEftat, cela vient ou de ce que lePrince n'a pas de bon- nes raifons de commander ce qu'il , commande, ou de ce que les fujets ne comprennent pas comme il faut les bonnes raifons qu'il en a , ce qui mon- ftre qu'il y a du vice dans l'Eftat , de delà corruption dans fcs parties: Ainfî s'il arriue de la rébellion des appétits contre l'entendement, cela vient ou de ce que l'entendement les gouuernc mal, ou de ce qu'encore qu'il ait quel- que inclination à les bien gouuerner, l'efficace de fes raifons n eft pas affés grande en eux : ce qui monftre qu'il y a de la foibleffc dans l'Intelleâ: , ôc de la corruption en l'homme. Partant à confiderer l'homme en fon intégri- té , comme c'eft noftre deifein icy, l'empire de fon entendement fur fcs appétits pouuoit bien eftre eftimé

^4■ laMorale

pluftoft politique qu'autrement^parcé qu il confîftoit tout en la perfualion & en la force de la raifon ; quoy que d'ailleurs on le pouuoit bien dire na- turel, parce qu*il eftoit de Tinftitution de la Nature. Et en cet eftat d'inté- grité 5 comme le commandement de la raifon eftoit fouuerainement fage &: régulier, robeiflancc des appétits jcftoit abfolument infaillible. Main- tenant Tempire de l'entendement n'a. pas changé de nature , encore qu'il foit arriué du dérèglement en nous, comme la fedition en TEftatn'empef- che pas que de droit la forme dugou- uernement ne fubfifte.

fONT/NrJTI07<i DE LA

conjtderation des principales fa- cultes de t homme j ^ de leurs opérations.

LEs facultés que i'ay nommées Raifonnables , confiftent y ainfi que i'ay dit , en Intelligence ôc en

Chkestienne. I. PartT 4J Volonté. Et quant à la Volonté, fi dans vne ame bien compofée les ap- pétits de rirafcible &c delà Concupif- cible font aflliiettis à la Raifon, il faut bien que quant à elle fa dépendance en foit encore plus infaillible &c plus neceflaire. Car ces Appétits font tellememt ioints en nous auec la rai- fon 5 que de leur nature pourtant ils en pcuuent eftre feparés. Les belles les ont fans la Raifon : les Anges ont la Raifon, ouTIntelligencc fans eux^ ôc quelque iour nous ferons en cet égard femblables aux Anges. Au lieu que y comme nous auons veu , l'on ne peut conceuoir d'intelligence fans vo- lonté 5 non plus que de volonté fans intelligence. De vient qu'encore que dans la parfaite conllitution de l'homme , ces puiffances irraifonna- Sbles s'entretiennent fi bien auec la Raifon , qu'elles fuiuent fes mouue- mens fans aucune contradiûion , fi cft-ce que dans la corruption de laNa ture il y arriue du dérèglement , &C qu'elles fc reuoltent trop fouuent con^ rc les parties fuperieures de I*amc.

I4<^ LA Morale

AU lieu que l'entendement Se la volon^ conferuent toûiours entr'eux vne parfaite correfpondance. CarfiTEn- tendement eft en fou entier , les mouuemens de la volonté font régu- liers &c bien compofés : fi Tentende- ment eft corrompu , la volonté Teft pareillement; &c de quelque cofté que la Raifon s'encline à bien ou à mal ^ c*eft auffi de ce cofté que Tappetit raifonnable fe détermine. Ariftote a dit cela , ce me femble , non feu- lement bien expreffément , mais en- core bien élégamment , quand il a prononcé que ce qu eft le nier ôc laf- fîrmer à l'entendement , cela mefmes eft l'appeter ou le fuir à la volonté. En quoy fon intention n'a pas efté feulement de donner à entendre quel- les font les opérations qui font propres à ces facultés , à les confiderer preci^ fément en elles mefmes, &: (ans auoii: aucun égard à leur fubordination: pour dire que comme rcntcndement fe déployé fur fes obiets, entant qu'ils font ou vrais ou faux , &: qu'il eft ainfi obligé ou 4'affirmer qu'ils font-

Chrestienne.^ I. Part.' 47 tels qu'ils luy font reprcfentés^ ou do le nierj la volonté fe déployé fur les fiens entant qu'ils font bons ou mau- uais, &: quainfi elleeft obligée ou de les embrafïèr ou de les fuir, parce que c'eft fous ces qualités qu'ils fe rappor- tent à elle. Il a voulu dire outre cela que CCS deux puiflances font alliées de telle façon , que quand vn mefme obied leur eft offert , à IVn pour iu- ger de fcs qualités, à l'autre pour le re- ceuoir, ou bien pour le reietter 5 fi l'en- tendement affirme & prononce qu'il eft bon , la volonté le fuit & s'eftend de ce cofté 5 s'il le nie, la volonté le reiette & s'en recule. Ce qu'il con- firme ailleurs en enfeignant que les adions des hommes font autant d'ef- fets de la conclufion des fylloo-ifmes qu'ils forment fur les obiets. Parce que celuy qui croit que la promenade eft bonne à lafanté en telles & en tel- les circonftances ; ce qui eft, comme on parle , la maieure de fon raifonne- ment : ôc qui outre cela void qu il fe rencontre luy mefme dans les circon- ftances dans lefquelles la promenade

;^^ LaMorale

eft bonne à la fanté ; ce qui cft la mi-^ neure de fon argument j ne pouuanc qu'il ne conclue que donc la prome- nade luy fera bonne , ne peut auflî qu effediuement il ne fe promené en fuittc de cette conclufiori. Et cha- cun peut fentir cela par expérience en foy mefine , s'il veut eftre tant foit peu attentif aux motifs &: aux prin- cipes de fes aftions. Car il tien trou- uera pas vne à laquelle il ne foit por- té par quelque raifon , dont il a for- me fa refolution d'agir , &: qui dans fa confultation jTa emporté fur les autres cofîderations qui Tinduifoyenc au contraire. Et celle mefme qui difoit , .^tielle voyoit bien ce qui eftoit le mei!l<em , & qti'elle l'approumity mais qti elle fuiuoit lèpre pourtant y auoit vne raifon de le faire qui eftoit la plus for- te en fon efprit, à fçauoir d'affouuir Fappetit de fa vengeance. Car il n'y a point de doute que hors le tranfporc de fa paflîon , elle n'enft iamais mis la main à égorger {z% propres enfans. Qupy que le defîr qu'elle auoit de fc yanger de fon mary , fuit étrange &:

furieux.

Chrestîenne. I. Part, 4^ furieuîC j il n'empefçjioit pourtant pas fon entendement dapperceuoir eu quelque façon qu'il y auoit J'hor- reur en fon entreprife. Mais fur l'heure ne^ntmoins la Colère preqa- loit 5 & le contentement qu'elle penr foit qu'il y auoit à fe vanger , fut plus fort en fa délibération ^ que la çon- noiifancc qu'elle auoit derat^ociréde fon crime. En efïe(5t il arriue affés fouuent qu'il flotte deux obieds en noftre entendement , ou que noftre entendement mefme flotte alentour d'vn mefme cbied , ne fâchant s'il le doit embrafler ou rejetter , parce que les confideracions ou d'interefl: pu d'honneur nous tirent de collé &c d'autre. Et cependant la volonté de- meure en fufpens , balancée entre le defir & TaueriGon, de mefme que l'en- tendement Teft entre l'affirmation 6C îa négation , tandis que les raifons de part &: d'autre combattent encore. Mais au moment que l'entendemeut fe refoût , il n'y a perfonne qui ne fente que fa volonté fe determâne de ce cofté là, &: qu il n'eft pas poifi-»

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ja ' 1 A Morale blc qu-ellé fe porte àl'oppofitè de ce qu'en fin TEntendement a prononcé «ftre expédient ou raifonnable, fait 5 fi cela fe pouuoit , il arriueroit aiiffi par mefine moyen que la volon* xc fe porteroit fur ce que l'entende- ment iuge eftre mauuais &: preiudici- able à l'homme , en le confiderant conlme tel , & foiis cette idée de pre- iudiciable &: de mauuais. Comme •fofélecas que l'entendement confuU te fi en telle &:en telle occafîonileft plus expédient de viure que de mou^ tir , &: qu'il iuge qu'il eft beaucoup meilleur de viure -, l'homme ne peut en cette occurrence fe déterminer à fe donner la mort , finon en la confi- derant comme vn mal y ôc encore comme vn tresgrand mal , puis qu'il luy mefme iu^gé que la vie eft vn très-grand bien , Se qu'il regarde ces deux chofes comme contraires. Or cela eft contre la nature de tout ap* petit , &: particulièrement de la vo- lonté 5 qui eft vn appétit raifonnable, de defirerle mal ^ entant que maU fout le monde ayant toûiours recon^

CHREsm.NNEÏ I. Part. ^f jDU que le bien , entant que bien, cft l'obieft de lappctit , &c le mal, entant que mal , celuy de Fauer- fion &: de la haine.. Et ceux mef-^ mes qui fe: donnent volontairement la mort, portent tefmoignage à la vé- rité de ce queie dis; parce qu'ils ncfe la donnent point fmou pour éuirer vn plus grand mal , en ^omparaifon duquel la mort leur paroift vne cho- ie defirable. Et delà meime il s'en-- fuiuroit que les hommes fe pourroy- ent déterminer aux actions les plus importantes ^ fans aucir aucun mo- tif de leurs refolutions , & fans fa- uoireux mefm.es le fuj et &: foccafion pour laquelle ils s'y portent. Car fi^ pour exem^ple, vn homme quidchbere s'il fe donnera la mort ou non , trouue enfin parle iugement de ion enten- dement qu'il doit viure , &: que ne- antmoins il fe porte à mourir par la détermination de fa volonté , il fcn-' cira bien fans doute qu'il veut mou- rir 5 mais il ne fauroit rendre de rai- ion pourquoy il le veut , puifque ce quis'appclîc du nom de raifou^ eur

D 2.

Ji 1 A M Ô R A

clinoît fon entendement au contraîteî Or dans les chofcs légères , Se qui ne requièrent pas beaucoup de confulta- tion , de dans les fubites & impreme- ditéeSjOÙ lafurprife nous empefche de délibérer , nous pouuons bien faire quelques fois des adionsdontil nous fetoit difficile d'expliquer le motif bien diftindement. Non que nous n'en ayons quelcun; mais nous ne Ta-» uonspas afTés bien enuifagé pour pou- uoir décrire exaftement fes qualités ôC fa nature. Mais que dans les occurren- ces de cette importance , &c dans lef-? quelles l'homme a pris le loifk d'exa- miner les chofes de part &r d'autre , iufques à en former vne certaine con- cluiîon ; il fe puiffe déterminer à vne aftion fans en auoir aucune raifon, c'eft chofe que le fens commun Se l'expérience reiettent. Nous voyons bien des gens qui n'allèguent point de raifons de leurs adions fuion leur feule volonté. Les Monarques difent, le le "veux , farce que te le veux. Les enfans parlent à peu prés de mefme. Et c'ell auffi quelquesfois le langage

GïîRESTIENNE.^ I. PaRT. J}

Jes infenfés. Mais les Monarques le font parce qu'encore qu'ils ayent des raifons de leurs volontés , il n'eft peut eftre pas expédient qu'ils les décou- urent. Les petis enfans n'ont pas en- core Tentendement aiTés formé pour conceuoir diftindement leurs raifons, ou n'ont pas encore affés d'habitude à bien parler pour les dire. Les fols n'en ont point de bonnes à dire parce qu'ils ont Tentendemeut renuerfé; ôc d'ailleurs , bonnes ou mauuaifes que foyent celles qui les induifent à leurs adions , le déreiglement de leur ima- gination ne leur permet pas d'en gar- der l'idée afles long temps , pour les pouuoir expliquer par la parole. Au lieu que les fàges ne font iamais rien fans quelque raifon , 3c s'ils ne la di- fentpas , c'eft tellement, non la vo- lonté , mais l'entendement qui domi- ne en eux , que quelque bonne &c per- tinente raifon les enempefche. Tant il eft naturel à l'homme d'eftre cou- <luit par la raifon , que mefmes quand il n'en fait pas profeflîon , c'eft quel- <[uç raifon qui l'y oblige. En cfFe£t

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f'4 ' '^^ Morale

la nature mefme de cette facuké^ qu'on nomme la Volonté^ le requiert ainfi. Car celles qui luy font foumi- fcs ne s'excitent point d'elles mef-, mes &: de leur propre mouuement. Les membres ne fe remuent point que par la vertu locamotiue qui les agi- te. La vertu locomotiue ne fe dé-, ployé point que par Fimpulfion de la volonté. Ou donc la volonté eftpa-^ reillement foufordonnée à quelque autre Puifîancc , ou elle ne l'eft pas. Si elle l'eft, elle doit fuiure les mou-r •uemens de la faculté fuperieure , com-r me celles qui luy font aflliietties fui- iientles fîens. Si elle ne Teftpas, veu que nulle autre faculté ne fe tire d'elle mefme du repos dans lequel el- le eft naturellement , pour produire ce qu'on appelle (ç,^ actes &: it^% ope- rations, & qu'il faut ncceifairement -qu il y ait quelque autre chofe hors cVelIe qui luy face fentir fon efficace •& fcs influences pom* en faire éclor- re les afliions ; d'où vient à la volon-^ •ce ce génie fi particulier , qui la rend exempte du bcfoin du concours de

Chrestieîînb. il. Part? yy quelque autre chofe que ce foit pour îa produdion de (es ades> Carlesfens extérieurs fe meuuent parles obieds fênfibles quife prefentent à cux.L*en- çendcment void , &: entend, &: raifon- ne, &: nie , &:affirnie , & reiette, &: acquiefce , fçlon qu'il cft touché des qualités qu'il appercoit dans les cho-. fcs qui luy font offertes à contempler. Et généralement toutes les puifTances de nos efprits &c de nos corps font pouffé es à leurs opérations par quel- que autre faculté que la Nature a e{^. tablie au deffus d'elles , ou bien atti- rées par les qualités des chofes intel- ligibles ou fenfibles. Si donc la volon- té n'eft affuiettie à aucune autre fa- culté 5 il faut qu'elle foit déterminée par l'efficace de fcs obiers , comme les fens &: Tentendement. Or comment le peut elle eftre fi elle ne les con^ noift point ? Et comment les peut elle Gonnoiftre autrement que par l'entre- nrifede l'intelligence i Toutes les na- tures de bien dont elle peut eftre tou- chée fe rapportêt à/'^^/^;^^i?^j arvûle, B^ au dckîtable^ ô^ n' y a rien au monde.

A 4 •"

5^ t A Morale

capable de nous éniouuoir que foiî^ IVne ou plufîeurs de ces qualités. Si donc noftre volonté s*en émeut , il faut qu elle les reconnoill'c telles, car c'eft vn axiome indubitable que Ton ^e defire point ce que Ton ne con- fioift point. Et fi elle les reconnoift, ou bien il faut que ce Ibit par les yeux de Fintélligence , ôd qu'ainiî elle dé- pende de fon iugement ; ou bien il faut que ce foit par le moyen de Ces propres yeux, 3C qu'ainfi au lieu que nous confiderons fous l'idée de la volonté 5 elle deuienne intelligence. Aufli Ariftote voulant définir la na- ture de ce qu il nomm^ pr ée le 5f ion ^ qui n'eft rien autre chofe que le refultat de la délibération ^ de la confulta- tiori que nous faifons lors qu'il eft queftion de nous refoudre à quelque aftion j dit qu'où bien c'efl vn appétit ratiocinatify ou bien vn raifonnemeni ^ppetitif ^ comme croyant fermement que ces deux chofes font infeparable- ment coniôintes. Car il ne luy im- porte pas que vous l'appelliés appétit^ ?y qu^ vous trouuics fa natmie dans

CHRE'strENNET ï. PartT 77

Tencèinte des a£tes de la Volonté , pourueu que vous luy donniés pour différence fpecifique, ainfi qu*on parle dans les Efcholes , & qui définit fon éftre en la diftinguant de toute autre forte d appétits , qu*il eft produit par la force d'vn raifonnement. Comme il ne luy importe pas non plus que vous la nommiés raifonnement , ny que vous trouuiés fa nature dans le cercle des ades de l'intelligence , pourueu que vous la fafliés neceffai- rement influer dans la volonté. Et c'eft ce qui fait dire à cemefme Phi- lofophe 5 que ce qui rend les hommes mefchans , c'eft que dans les confuU rations dans lefquelles il fe faut refou^ dre à quelque adion , il fe mefle vne certaine ignorance des chofes vni- uerfelles , &: que les lurifconfultes ap- pellent ignorance de droit , qui leur fait faire de mauuais raifonnemens. Com- me de fait , c*eft parce qu'il iugenc qu'il faut plus déférer ou à la volupté du corps 5 ou à la paflîon de l'efprit, qu'à la pieté & à la Vertu , qu'ils s'a- bandonnent aux âûions queks hon-

jS , 3L A Morale j neftcs gens trouuent blafmables, oir mefmes que les Magiftrats corrigent par la feuericé des loix. Or y a-t-il en cela vnc manifefte erreur & vne gran- de deprauation d'entendement , de, faire ent^'er ces chofes en comparai*; ion 5 &r encore de poftpofer les bon- nes à celles qui ne le font pas , &z celles qui font excellentes en vcilité ôc en dignité , aux deshonneftes Se domma- geables. Et fi ce qu'il dit de la caufe de la méchanceté des médians eft \ noter, ce qu'il enfeigne des vertus des honneftes gens n'eft pas moins con-. fîderable. Car il fait de la Prudence yne habitude de l'intelled, &:eftablit les appétits ou la volonté pour le fiege des vertus Morales. Et neantmoins il enfeigne difertement quVn homme lie peut cftre véritablement prudent s'il ne poil'ede les autres vertus , de qu'il ne peut eftre véritablement ver^ tueux, s'il n'eft doiié de l'habitude de Prudence. Parce que c'eftlaPruden* ce qui conftituc vne fin belle ôe hon- nefte à l'exercice des Vertus morales, 4ns guoy elles ne meriteroyent pas.

Chrestienne? L Part.' 5^ ce nom , Se que c'eft elle qui les régit, Se qui leur prefcric cette médiocrité dans laquelle elles fe contiênent entre deux extrêmes. Or fi Hntelled & la volonté font deux facultés fi déta- chées , quelles ne foyent point dans la dépendance Pvne de Tautre , èc qu'en refiftant au iugement de fln- telled la volonté puiffe exercer fcs opérations à contrefens, cette do£tri-^ ne d'Ariftote n'a point de fondement en la vérité. Parce que dVn cofté vn homme pourra bien errer au iuge- ment qu'il fera de l'excellence de la pieté &: de la vertu, en concluant que la volupté du corps & l'aflbuuifl'ement des paflîons de l'efprit leur font pré- férables de tout point ; pendant que fa volonté le déterminera au bien, &c Juy fera faire des adions bonnes &c louables. Et de l'autre il pourra bien eftrc prudent fans neantmoins eftre vertueux , ou au contraire il pourra eftre vertueux fans neantmoins eftre prudent , d'autant que ces deux fa- cultés eftant indépendantes l'vne de H 'autre refpediuenient , il n'y aura xim

i'o tA Morale

qui n'êmpcfche qu'elles n'acquièrent éc qu'elles ne conferuent chacune fes habitudes à part , quelque contrarié- té qu'elles puilTent auoir entr'elles* loignés à cela que la façon de laquelle nous nous feruons pour induire les. hommes à leurs avions , ou bien pour les en détourner , laquelle confiftc toute en raifonnemens , en exhorta* tions, en remonftrances, en reprefen- tation de périls , en menaces de puni- tions 5 en promefles d'auantages & de tecompenfes , eft tres-inutilement ôc tres-impertincmtnent employée la volonté ne dépend point du ingé- nient de l'entendement. Car c'eft à l'entendement que toute cette bat- terie là s'âdrefle y ôc non diredement .a la volonté. Que feruira donc d'a- iioir vaincu l'entendement ^ & d'a- tioir abbatu toutes les dcffenfes que î'ignorancc du bien , 8c la fallace du îtial y oppofent aux bonnes ôc ver- tueufes refolutions ^ fi après qu'on en cft venu à bout, &c qu'on a déterminé îlntelleâ: vers l'honncne , & Vvtile y ôc îc véritablement dfkifable^ la volonté^

Chrestïenne^ ï. Îart» '€\ .à»où les aftions dépendent immédiat tcment, fe moque de noftre conquefte &: fe tourne de l'autre cofté ? Et fi quelcun dit que Ceft pour prefenter à la volonté fon obie£t , qu'elle ne pourroit ny connoiftre ny apperceuok autrement, il eftaifé de luy répondre que ce n eft pasrintention de ceux qui tafchëtde perfuader par cette métho- de , que de reprefenter lobiea feule- ment. Si cel'eftoit,il ne feroit pas be^ foin dVn fi grand appareil de raifons, d'exhortatiôs,&: de remonftrances.Ils pretendët faire voira l'intellea toutes les conditions qui le rendent recom- . iTiandable,&: par lefquelles il fe fente obligé à le receuoir, croyans que s'ils en peuuent venir à bout , la détermi- nation de la volonté ,& Tadion qui son produit , viendront neceffaire- ment en fuitte. En fin , fi la Voloni^ ne dépend pas de Tentendement, il faut neceflairement que Tentende- ment dépende de la volonté. Car la Prouidence diuine, &: la Nature, font trop fages pourauoir mis en nous cqs deux maiUreifes facultés, par qui feu-

3?2 t A Morale

les nous fommes hommes , pour ItS laifler toutes deux dans Titidependan- ce à regard rvnc de l'autre. Comme vn vaifleau ne doit auoir qu'vn gou« ucrnail , ny vne armée qu'vn chef, ny vne rnonftre qu vn grand rcflbrt , ny mefrtle ce grand Monde qu'vn Dieu, pour en régir toutes les parties , il ny doit auoir en l'homme qu*vne faculté dominante , pour euiter le defordre que caufe la pluralité des Seigneurs en mefme degré d'autorité. Or outre que Texcellencc de l'entendement par deflus la Volonté luy doit donner cet auantagc ^ &: que le nom dont les Grecs ont accouftumé de Tappel- îcr rnonftre que c'eft à luy à qui ap- partient le gouuernernent ^ l'expérience fait voir que les ades de nos cntcn- démens dépendent Amplement de îturs obiefts, &: non des ordres d'au^ cmie autre de nos Puiflances. Nous •croyons les chofes parce que nous les trouuons véritables , & non parce que nous voulons qu'elles le foyenp; nous les iugeons honneftes , nous 4cs reconnoilTons vtiles^ nous les efti^

CHR^STifeKNET ^ L Part? ^^ tnôiî^ delcftables , félon que noirs apperceiions qu'elles pofTcclent ces qualités , ôc non félon ce que les in* clinàtions de nos volontés fouhaitte-» royent qu'elles y fuflent. Et quant à ce que nous difoils quelquesfois , /> veux croire que telle chofe eB y tant s'en faut que cela monftre que la volonté ait quelque empire fur l'intelled^pouc luy perfuader ce qu'elle veut ^ que c'eft vn figne indubitable que nous ne croyons pas ce dont il s'agit , mais que nous n'eftimons pas aulfi que la difcuffion nous en foit fortneceffaire. Et nous ne difons iamais cela fi nous n'y fommes induits par quelque rai^ fon , qui nous oblige à ne vouloir pas nous enquérir de la vérité , ou à ne prefTer pas ce que nous en connoifi fons 5 de forte qu'encore en cela c'efi: la raifon , c'eft à dire , l'entendement qui nous gouuerne. Et au contraire quand nos volontés excitent nos en- tendcmens à leurs opérations, comme il femble que quelquesfois c'eft pai l'inftigation de la volonté que Finrel- ligence feréueille ^pour apporter piii^

^4 ^^ E A Morale d'attention à vn obieû qu elle ne faU foit auparauant , c'eft encore quel-r que raifon qui nous a follicités à nous exciter nous mefmes. Ou la beauté de Tobieft^que nous ne faifions qu'en- treuoir, ou fa grande vtilité, que nous ne reconnoiflions qu àdemy, ou quel- que autre qualité recommandable qui i'accompagne , &: dont nous n auions finon flairé quelque odeur imparfai- tement 5 nous a fait comprendre qu'il meritoit vne plus forte & plus atten- tiue application de nos efprits, ce qui fait que nous en réueillons toutes les puifTances. Et fi nous regardons bien diligemment en cela qu'elle eft lana* ture de leur action , nous trouuerons que la volonté n'y commande nulle- ment à rintelled; mais que Tintelled induit par la raifon que ie viens de reprefenter , meut la volonté à exci-? ter les facultés qui luy font foufor-p données , ôc dont l'opération eft ne- ccflaire à celles de l'entendement. Car s'il eft qucftiô d'vn obiedfenfible c'eft à la volonté à bander deffus les organes ^ les efprits qui font dcftinés

aux

Chresyiënke. I- Part^ ^y aux fondions de nos fens. Et s'il n eft pas befoin de les y déployer , parce que nous pouUons nous reprefentcr nous mefmes Tobicâ: à l'imagination, c'eft encore à la voloté à exciter cette faculté, à ce qu'elle forme plus diftin- ftement, &: qu'elle retienne plus con- ftamment les images des chofes , fur lefquelles il faut que la contempla- tion de Tentendemét s'exerce. Quant à l'entendement mefmc , s'il en exer- ce mieux Ces opérations alors , ri n'en a point d'autre obligation à la volon- té , que celle qu'vn Aftronome peut auoir à fon feruiteur, de ce que par* fon comandement il luy a tiré de fon cabinet les inftrumens dont il fe fert pour la fpeculation des aftres. Telle- ment que ceux fe trompent fort qui accomparent la liaifon de la vo- . lonté aucc l'entêdement , à vn maiftre aueugle , lequel eft conduit par vn feruiteur voyant , &c qui mefme obéît à fon maiftre en le conduifant. Car il peut bien arriuer dans le defordre que le pe-ché a mis aux chofes du monde , que le maiftre deuient aueu-*

E

€^ ÎA Mo raie7

gle , & que le valet a de bons yeux: ce ^i n ofte pas à l*vn la qualité de maiftre , laquelle il n'auoit pas dans la veuë, ny à Tautre celle de valet, qu'il n'y portoit pas non plus. C'eft pour- quoy rvn peut bien commander à l'autre qu'il le conduife, ^ quelque âuantage que le valet ait en ce qu'il a des yeux , il ne laifTe pas d'eftrc tenu d'obéir. Mais l'auantage d'en- tendre, 6c de raifonner fur les obieds, d'en reconnoiftre les qualités , èc de leur donner le prix qu'elles valent, d'apperceuoir Texcellence de l'hon^ nefie ^ la commodité de l'vtile ^ la douceur du dele6idhle , &: de les pou- uoir comparer entr' eux , eft le fon- dement de l'empire de l'Intelleâ: fur toutes les autres facultés de l'homme. Et ce feroit chofe tout à fait indigne de la fageffe de fon Créateur , s'il auoit afl'erui la faculté qui feule eft capable de commander raifonnable- ment, dautant qu'elle void, &: qu'elle entend, 6l qu'elle connoift les raifons de ce qu'il faut & de ce qu'il ne faut pas faire, à vne autre puifsâce aueuglc.

Chkçstienne. I; Part. %y &: qui ne peut auoir d'elle mefme au- cune intelUgenee de fes aftions. Car c'eft proprement comme fi dans vn Eftat l'on mettoit lautorité fouuerai- ne entre les mains des ignorans , &: qu'on leur afleruift les hommes pru- dens & bien entendus dans la politi- que. Mais c'eft pour maintenant afîes parlé de ce fujet, qui fc pourra encore touuer en d'autres endroits de mon ouurage.

DES OPEKJTIONS DE

l'Intellcél en particulier,

DE rintelled dépendent deux fortes d'opérations. L'vne con- fifte en la fimple perception , ou ., comme on parle , apprehenfion de l'obied: comme quand ie conçois en mon entendement le lens de ces pro- pofitions, que le Soleil tourne autour du Monde , ou que Cefar i\it tué par Brutus 6c par fes compagnons dans le

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igj LA MoKALÏ.

Sénat , ou que Mahomet eft vn fau:S Prophète. L'autre confîfte en l'ac- quiefcement que ie donne à ce qui fe dit 5 ou en l'improbation que l'en fais , félon que ie connois la propofi- tion eftre faufle ou véritable. Or quant à cette première aûion de nos cntendemens , elle eft abfolument in- différente tant au vray qu'au faux, tant au bien qu'au mal , ôc n*eft d'au- cune confideration dans la Morale, finon qu'elle elt abfolument neceflai* re pour les allions dans lefquelles la vertu morale règne. Car ceux que la Nature a G. mal formés , ou qui par quelque accident ont receu vnc fi grande lefion dans les organes necef- faires àrcnrendement , qu'ils ne font pas capables d'y receuoir aucun ob- ie£t régulièrement, comme font les hebetcs &: les infenfés , ne peuuent point agir moralement , puifque le premier principe de le premier fon- dement des aftions morales leur man- que. Mais ncantmoins , que ce ne foit pas en cela que la Morale confifte, il en appert en ce que i'cntends auffi

Chxestienne I. PartT €§i bien cette propofition , que la terre tourne autour du Soleil, ou que Ma- homet eft vn homme enuoyé de Dieu, que ie fais celle là, que le Soleil tour* ne autour de la terre , ou que Moyfe a efté vn grand Prophète. Et ne donnant iufques mon acquiefce- ment à pas vne des deux , mon efpric demeure en fufpens entre la vérité ÔC la faufTeté en leur égard, fans incliner vers l'vne pour la receuoir, &: fans auoir auerfion à l'autre pour la me- croire. En cet égard nos entende* mens font comme les miroirs , qui rc- çoiuent auili bien les images des cho- ies monftreufes, difloquées, &: de tra- uers, que celles qui partent des corps bien proportionnes , &: qui ont vnc belle fymmetrie. De forte que c'eft en Tacquiefcemcnt ou en l'improba- tion que l'on donne à toutes telles propolîtions, que confifte le bien ou le mal des opérations de la Raifon^ en ce qui cft des vertus intelleduelles &: morales.

Derechef , l'approbation que nous donnons aux propofitions des chofes,

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^O t A Mo k AIE

eft <îe deux fortes , felcn qu'il y a deux fortes d'obiets fur lefquels ces propofitions font formées. Car il y cil â quelques vns dont toute Teffica- ée naturelle fe termine dans Tintelli- gènée mefmc ; tellement qu'ils ne dôiuent produire aucune autre ope- ration fmon kur fimple perception premièrement ; puis après , Tacquief- cement ou Timprobation que nous donnons à leur vérité ou à leur faufle- ; fans qu'il foit neceflaire qu'ils touch ent ny la volonté ny les appétits, ou qu'ils excitent quelque émotion dans ces puiflances. Telles font les chofes qui font offertes à contempler dans les fciences qu'on nomme fpecu- latiues, comme eft l'Arithmetique^ô^ la Géométrie , Se la Phyfique , &: fem- blables. Car fi quelcun me dit que dfx & dix font vmgt^ ou quey? de chofes égales vous ofiês chofes égales ^ le refle de- meure égal, ou que le traïijport d'vn corps â'n)n lieu en vn antre ne ft peut faire ijuen l efface de quelque temps , tout ce que ces vérités doiuent raifonnable- ment produire en moy, c'eft que pre-

Chrestienne. r. Pat^ 71 micrement ie les entende, & que puis âpres ie les reçoiue comme vérités^ Apres cela , d'elles mefmes , &: de leur nature , elles ne me portent à aucune adion que ce puifie eftre. Mais il y a d'autres obiets dont l'efficace natu- relle doit pafTer iufques dans l'appetit foit raifonnable , foit fenfitif , &: y engendrer quelques mouuemens qui tirent des adions en confequenee. Comme fi quelcun me dit c^'ilfaut aiîner Dieu , o^" il faut honorer fon per^ dr fa mère , qu'il ne faut faire a autruy finon ce c^ue nous voudrions nom ef refait, &c cliofes femblables , l'opération de ces obiets ne confîfte pas dans la fim- pic comprehenfion de leur eftre , ny dans le fimple acquiefcement que ie donne à leur vérité , elle doit tirer ef- fediuement &: l'honneur, ôc l'amour, & l'exercice de la iuftice après elle. Et quant à ce qui eft de cette premiè- re forte de chofes, Ariftote expliquant la nature des vertus intelleduelleSjles rapporte généralement à trois chefs, qui de leur nature produifent diuer- fes adions ôc diuerfes habitudes eo

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7^ LA Mo R ALB

rentcndement. Car il y en â quel- ques vnes que l'on appelle principes, dont la nature eft fort confide-rable en fdeux égards. L'vn eft que pour con-» noiftre leur vérité il n eft pas necef- faire de raifonner defllis , parce qu'el-' îe eft allés euidente d'elle mefmc , &: plus claire que ne pourroit eftrc ce qu'on apporteroit pour l'éclaircir. Comme fi on me dit que deux & deux font quatre , &: que le tout eft plus grand que fa partie , la Ample con- ception de la chofe m'en fait apperce- iioir la vérité , fans qu'il foit befoin de raifonnement. Et fi ie voulois raifon- ner deifus , ou i'embaraflcrois autruy, on ie m'embaraflerois moy mefme, &: obfcurcirois Teuidenrce de ces deux propofitions ; ou bien ic paroiftrois inepte &: impertinent , comme fi ic voulois éclairer vne plus grande lu- mière par vne moiudre. L'autre eft, que c'eft de ces principes que l'on tire îa connoiflance de dmerfes autres vé- rités , en commençant par celles qui leur font plus coniointes &: plus pro- ckes:,.ôc nous auançant à celles qui en

Chrestienne. I. Part. 7j font plus éloignées , félon que nous y fommes conduits par Tordre ôc par !a fuite du raifonnement. Comme de CCS deux principes , J^^ le tout eB fhs grand ^ue fa fartie , & ^ue fi de chûfes égales , vous ofies chofes égales ^ le refte demeure égal , chacun fçait que \cs Géomètres ont tiré vne infinité d'admirablement belles vérités, dont leur fcience eft compofée. Et ils font véritablement principes pour czs deux caufes 5 que pour les prouuer on ne raifonne point fur eux , &: que d'eux en raifonnant ^ on déduit toutes les chofes qui en dépendent. Car s'il falloit raifonner pour les prouuer , il faudroit mettre en auant quelque pro- pofition qui fuft naturellement plus connue qu'eux5& dont nous fceuflîons la vérité auant que de connoiftre la leur , & ainfi ils ne feroient pas les pre- miers &: les principes dans nos con- noiflances. Et fi nous n'en tirions point d'autres vérités par le moyen du raifonnement, ils ne feroyent pas prin- cipes non plus , puifque ce mot em- porte naturellement quejquc rapport

^4 l'A Morale

aux chofcs qui viennent aprés^c^quî coulent de leur dépendance. Eftans donc tels que la première & plus fim- ple aftion de l'intelleft fufïît pour donner connoiflance tant de leur eftre que de leur vérité ^ il ne faut pas s'eftonner fi Ariftote a nommé cette opération du nom mefinc èiln- teUigeme. Car il n'y a rien de plus commun ny de plus naturel que de nommer la première adion d*vne fa- culté 3 du nom de la faculté mefme. Ainfi appelle-t-on volontés les premiè- res produdions de la faculté qui porte ce nom : vV on appelle veuè la plus Am- ple fondion du fens que l'on nomme de la forte. Et parce que pour en- gendrer dans l'intelled vne certaine difpofition , inclination , & habitude, à conceuoir ces principes , & à les croire facilement, il n'interuient au- cune autre opération de Tentende- ment , que cette fimple apprehenfion de Fobied réitérée diuerfes fois \ ce n'cft pas mcrueille non plus fi c^tio, habitude mefme a efté nommée de ce Tiom ^Intelligence. Car c eft quaij

Chrestiènne. I. Part^ 7f comme on attribue le nom de cachet à l'inftrument qui donne l'impreflîon à la cire; &: à rimpreflîon mefme qu'il fait de fon caradere, quand la matiè- re eft encore molle , &: qu'on y pefe légèrement j &: en fin à ce caraâere mefm.e jlors qu'y rj^ant pefe plus fort, & la matière s'endurciflant , Timpref- fion y demeure permanente.

La féconde forte d obiets delà con- noiffance defquels noftre entende- ment fe contente, fans en faire paffer Fefficace iufques dans les appétits , comprend les vérités qui fe déduifenc de ces principes. Et ce font des vé- rités telles que fi vous les comparés auec cç^s premières fources dont elles font deriuées , elles méritent feule- ment le nom de conclufions que vous en aués formées par la force du rai- fonnement : mais fi vous les comparés les vues auec les autres, elles font or** dinairement ^ principes &: conclu- fions en diuers égards. Principes , parce qu'après que vous en aués con- nu la vérité, & que de cette vérité vous venés à en tirer ^ 2. ^n déue-

y 6 Za Morale

lopper d'autres, celle que vous aui'cs connue la première vous tient lieu de Iburce , Scelles cy que vous en deri- ué$ en font comme les ruifleaux. ConclufionSjparce que celle que vous confîdercs comme fource maintenant à regard de ce que vous en aués fait découler, eft elle mefgie vn ruiffeau que vous aués tiré de cette première: vérité que vous n'auiés point tirée cl'vne autre. On appelle d'ordinaire Toperation del'efpritqui produit ces connoiflanccs , de ce nom de ratioci* Tfation^ ou de difcours. Et la raifon en cft que l'Entendement ne s'y arreftc pas à la fimple intelligence dVn ièul obied ; il y va d'vn obied à Tautre ré- gulièrement 5 &: les conioint par les conuenances &: les rapports qu'ils ont cntr'eux , & les fepare par leurs répu- gnances 5 en fe feruant de quelque vérité qu'il employé comme vne rei- gle commune pour les mefurer , &: pour voir s'ils ont quelque proportion qui les rende compatibles. A peu prés comme vn Architede , qui veut connciftrc k deux pierres font de

Chrestiennh^ I. Part! 77 incfmc longueur ou non , applique ion compas ou fa leigle à la première; puis il fe tourne vers l'autre pour Ty appliquer pareillement, &c puis cela fait , il iuge par l'égalité ou inégalité qu'elles ont auec l'ouuerturc de fon compas, fi entr'elles mefmes elles fonc égales ou inégales. Or plus on pro- duit d'opérations de cette nature bien &: régulièrement , plus auant s'impri- me-t-on dans Tefprit la connoilFancc des chofcs fur lefquelles on les a pra- tiquées, &: plus acquiert-on de facili* à les pratiquer fur d'autres obieds. Et c'eft cette profonde impreflîon &: cette facilité à l'aftion , que Ton ap- pelle comunement habitude, &c qu'en cette nature de chofes Ariftote a nom- mée du nom de Scie/jce^ qui en fa lan- gue grecque vient d'vn autre qui fignifie apprendre, ou acquérir du fça- uoir que l'on nauoit point aupara- uant. Ce qui n'eft pas fans bonne raifon. Car encore que félon l'o- pinion de ce Philofophe , les hommes apporter au monde leur entendement iemblable à vne table rafe , dans la-

7^ LA Morale

quelle il n'y a du tout rien d'écrit y de forte que les premières notions des principes ne nous font pas naturelles, c'eft à dire 5 que nous ne les auons pas apportées du ventre , mais acquifes depuis que nous fommes nés , &c que nous vfons de nos facultés; eft ce que leur vérité a vne telle euidence &c vne telle proportion auec nos enten- démens, qu'ils s*y attachent &: s'y ad- iuftent dés la première application que nous y en faifons. Parce donc que cela fe fait fans effort de laRaifon, &: fans qu'elle foit obligée à courir d'v- ne choie à l'autre pour en faire com- paraifon , de forte que mefmes nous ne nous apperceuons pas que nous ac- quérions ces connoiffances , il nous fembleque nous les auons comme de nous mefmes , &: que c'eft le foin de la Nature qui les a mifes en nous : tel- lement que cela ne s'appelle pas ap- prendre. Mais quand nous auons premièrement remarqué noftre igno- rance en vn certain fujet ^ &c puis fait application de nos efprits pour le coa- aoiftre , oc qu'après cette application

Chrestienne. I. Part^ 75^ nous obferuons que nous fauons ce que nous ne faisions pas auparauant, nous difons alors que nous auons ap- pris 5 c'eft à dire , acquis de nouucau quelque forte de Icience.

La troifiefme forte d'obiets de la connoifTance defquels nous nous con* tentons fans en venir à Tadion , eft quand nous mettons enfemble 6c les premiers principes des chofes , ôc les conclufions que nous en tirons , &: qu'ouurant nos enten démens dauan- tage que nous ne faiiîons en les con-^ fiderant feparémentjnous n'en faifons, par ainfî de dire , qu'vn feul Se mef-^ me obied, à la contemplation duquel noftre entendement s'attache. Or y a-t-il fans doute diuerfes fciences con- templatiues , qui à les confiderer en leur total font compofées de quantité de principes, &c d'encore plus de con- clufions. Telles font TAritlimetique, la Géométrie , la Phyfique, l'Optique, r Aftronomie , ôc femblables , dont il n'eft pas icy befoin de faire le denom- brem.ent. Tant y a qu'elles font telles & en fi grand nombre, qu'il n'y a point

?0 1 A Mo R À LE

d'homme capable de les conceuoir toutes de telle forte, qu'ayant vne par- faite intelligence de tous leurs prin- cipes 5 &: vne parfaite fciencc de tou- tes leurs conclufîons, il ne les con- temple toutes que comme vn mcfmc pbied en quelque façon, &: ne reçoiue dans-Tefprit qu'vne îeule idée &c vne feule habitude de leurs connoiiTan- ces. Les Anges mefmes , quelque vafte qu'ils ayent TinteUigence , Tonc neantmoms à mon aduis trop eftroit- te,pour comprendre toutes ces chofes auecque vne telle cxaftitude , &: vne telle plénitude de lumière & de fça- uoir 5 qu*il ne leur échappe du tout rien , &: qu'elles leur foyent toûiours prefentcs. C'eft à la feule Diuinitc que cette louange appartient : &: cela encore dvne façon (i merueilleufc,- qu elle ne met point de dilHndion de principes ôc de conclufions entre fes obiefts, de que voyant tout d*vn feul traiâ: d'œil, elle ne va point par degrés ny par progrés à la connoifKuicc des chofes. Ncantmoins, fi vn homme auoit fait choix entre les fcienccs , &c

que

(^HRÉSTIENNE. I. ParT. §1

tjite s^eftarît adonné à la contempla- tion des plus excellentes , ( &'Ies plus extellentes f^ins doute font ce1~ les qui ont les plus beaux &: les plus diuins obiêts ) il cuft acquis vne par-> faite intelligence de tous leurs pnncJ" pes 5 de vne exade connoifFance toutes "4es Vérités qiiiy paflerit pour concluliôns , de forte qu'il, les eurt: prcfentcs a rentendement corhme vh feiil obie£f:géneral\, compofé de plu- ïîeurs autres particuliers excellem- ment conftitucs, &t parfaitement bien proportionnés entr'eux , l'iiabitude que l'impreffion d'vne chofe fi admi- rable engendreroit en fon intellcd^ meriteroit vn nom plus digne d>z plus glorieux que ce que nous auons dît réception des autres cliofes prci cedentès. Et b'eft'ce qù^Arlftotè appelle S ap ience ^ nom. le plus propre qu'il ait peu tioUUer pour la magnifi- cence "du fujct. Daûtant que Iç^ Grecs ayant accouftumé d'appcllev Sages ctwx qui eftoienc fort eminens par^effus les autres au meftier dont ils fc melloyent , il n'auoit point de

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Si laMoralç

terme plus propre que celuy de Sd^ gejje y ou de Sapience , pour reprefen- ter l'incomparable auantage qu'vn tel homme pofl'ederoit par deflus tous ceux qui s*employent à la Contem- plation. Or cft-il bien vray quVne il noble habitude , coniointement auec les opérations qui s'en produi- xoyent ^ contribuëroit infiniment à la félicite de l'homme : &: ne faut nulle- ment douter qu'en l'intégrité de Ton lorigine il n'euft receu de Dieu les premières aydes neceflaires pour par^ uenir à ces hautes connoiflances, ny que s*il fuft demeuré dans l'eftat de fa création , il ne s'en fuft tres-auan- tageufement feruy , pour s'éleuer à tout ce qu'il y a de plus fublime entre les chofes dignes de l'application de nos efprits. Neantmoins cen'eft pas proprement ce que nous auons à confiderer en cette Morale. Car nous cherchons les moyens de rendre vn homme non pas tant excellemment fçauant , que parfaitement homme de bien. Or n'eft-il point homme de bien fînon par les actions de la Pieté ôc

Chrestienne. I. Part. 8j lie la Vertu, 5c par les habitudes qiû les produifent. De forte que c^eft ôc de ces aûions & de leurs principes qu'il faut que nous parlions , $c par confequent des motifs ôc des obieds qui les excitent.

DES 0P£Rj4TI0?1_S DE

tlntelleSl à l égard des ohieéîs

qui induijent a auelcme

aÛion.

IL y a donc encore de deux fortes d'obieds dont Peffîcace ne s'arrelle, pas dans Tentendement , mais paffe iufques dans les Appétits , pour y ex- citer quelque émotion ^ &:pour indui- re les hommes à quelque adion ou à quelque ouurage. le dis à quelque ouufage nommément ; car pour com- mencer parla, il y a certaines chofes qui félon qu'on les connoift bien ou maf , font que les hommes agiiTent auffi bien ou mal en telle ou en telle

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^4 ÎA Morale

forte d'Arts, dont elles cotiennentles^ reigles. Pour exemple , la Statuaire eft vn obie£t qui de fa nature porte à vne certaine opération, dont fe pro- duit vn ouuragc qu'on appelle vnc ftatuë , &: qui outre Cela donne les: préceptes de faire les ftatuës d'vne matière conuenable, &: auec leurs iu- ftes proportions. De forte qu*vn homme qui s'addonne à la confîdera-. tion de cet arp ^ & à r^cquifition fa connoiffance , n'en demeure pas quand il Ta acquifc , mais s'applique puis après à trauâiller de la main ; 5^ il trauaiUe régulièrement ou non , fé- lon qu'il a ronceu l'idée de cet obieft^ & des reigles d'opérer lefquellesy foiit contenues. Delà vient que les vns y font excellens , & les autres médio- cres y & les autres impertinens tout à fait 5 félon que chacun à bien ou mal connu fon obied&: fes dépendances. Mais ny la parfaite connoiffance de cette nature de chofcs ne rend pas vn homme vertueux &: homme de bien; car il fe rencontre quantité de bons ouuriers qui font d'ailleurs très mef-*

Chrestienne; ' I.. PartI 8y chans hommes : ny Timparfaite ou mauuaife connoiflance de ces arts ne rend pas vn homme vicieux ou mef- chant ; puis qu'il fe rencontre plu- fîeurs gens de bien qui font d'ailleurs , en leur meftier de très mauuais arti- fans. Et ce que ie dis des arts dont Texercice laifle après fby quelque ou- urage qui fubfifte , comme les ftatuës ou les peintures, fe doit dire pareille* ment de ceux qui ne laiifent rien de permanent après l'adion de la main. Car vn bon ioùeur de lut, &: vn hom^ me de bien , font quelque fois des chofes fort feparées. De forte que puis que nous cherchons le moyen de faire vn homme de bien 5c ver- tueux 5 nous n'auons point icy affaire de la confidetation de ces obieds , ny des opérations qu'ils produifent. C'efl: de ceux qui de leur nature portent au vice ou à la vertu , &c des ades 6C mouuemens de nos entendemens à leur égard , que la confideration nous eft icy neceffaire. Examinons donc vn peu la nature des adions de no:s facultés fur cette forte d'obieds* '

S^ '' t A Morale

Puis que ce font ces obieds qui nous excitent à Taftion, pour bien en» tendre qii'elle eft l'aftion , il en faut confîderer les diuers momens , félon les diuerfes impulfions que les obieds mefmes nous donnent. La première <le cos impulfions donc confifte en "vne certaine émotion , foit de dcfir^ foit d'auerfion , que la première ren- contre de Tobiedauec la faculté pro- duit conformément à fa nature &: à la •conftitution de la faculté mefme. Or tlans la conftitution de noftre nature. Tertre d'animal nous conuient auant celuy dliomme j de forte que la liai- fon ècla communication que nosfens intérieurs ^ tels que font la fantaifie ôc le fens commun , ont auec Tappetit fenfitif, eft plus proche & plus immé- diate entr'eux , qu'elle n*eft par Tin- terpofition de l'entendement, & delà volonté. D'où vient que dans les fur- prifes, nous n'auons pas encore eu îeloifirdc raifonncr l'image de robie£t qui frappe les fens extérieurs , de par les fens la fantaifie , court plus viftc de à Tappetit fenfitif^par les voye^

Chrestienne".' I. PartT 87 par lefquelles elle y coure dans les au- tres animaux , qu'elle n'y va par Mn- telleft. Il luy faut du temps dauan- tage pour ettre receuë en rintelled, pour y eftre confiderée attentiuemêt, ôc pour y eftre comparée auec les au- tres choies fur lefquelles il doit faire refleftion, afin de iuger s'il la faut laiC- fer pafler dans la volonté ^ &: de U volonté dans les aftedions , ou s'il la faut empefcher d'y aller donner vne atteinte. Et nous fentorw cela biea fouuent par l'expérience que nous en faifons en toutes chofes. L'image des périls impreueus , qui vient toucher fubitemcnt ou nos oreilles ou nos yeux , vole de dans l*imagination, & de l'imagination dans Fappetit , au lieu refide la crainte , auec vne tel- le rapidité , & y caufe de fi prompts mouuemens de peur, qu'à pemepou- iionsnous empefcher qu'il n'en paroit fe quelque chofe au gefte du corps , ou au clignement des yeux , -&: à la palleur du vifage. Et iufques à ce ue l'entendement ait eu le temps de « recueillir , ce ^u^il fait à la vérité

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S8L .^ ,1 A Morale, . - -. ion prbntcmçnt dans les am.es yn peu. fortes , ou qui ont acquis ,de bonnes liabitiides/.en.çe qui eft de la peur, cette légère ernotion, duré dans, la par-. tie:infç rie lire, Tame* .Qr n'eft-çç, pas encore ,en.ces,aaions là. que çon^ liiteiiy le vice, ny la vertu. JLa verta fans doiite n'y confifte pas: parce que- ce fQnt; adiojis ou paiTions qui nous c'onuiennent proprement entant. que nous fommes.animaux 5 & non pas en-r tant que nous Tommes hommes, puis que la Raifpu non feulement n'y eft pçinp, encore interuenuë , mais mef- nies qu'à caufe de la furprife elle n'a pçu y interuenir. La vertu morale eft vne qualité de l'homme, entant qu'il eft homme , &: bien que peut eftr.e^i.l y. ait pluficurs de fcs vertus qui Qntleui: fiege dans, Tappctit fen- lîtif ^ fi eft çc qu elles n'y peuuent eftre imprimées linon par l'entremife des facultés raifonnables telles que font l'Entendement & la Volonté. Par la iTpicfiiieraifbn le.yicc n^y confille pas i^on .plus. Car ne peut accufer l'hqmme d'5v}cuç^ ,yicp moral , finoii:

Chrest\ennev I,_ Part. S^ queia mauuaife habitude qu'onnom*? me de ce nom , ait cftéimprimée dans. les facultés inférieures par les raifon* nables; ce qui fe fait par les aftions aufquelles il fe porte de propos déli- béré : ou au.moins, que Témotion qui s'excite dans l'appétit fenfitif , monte iufques à Tentendement , foit pour le détourner tout à fait de la confîdera- tion qu'il doit faire des obiefts de: l'honneur &: de la vertu , foit pour empefcher que les reflexions qu'il y fait , ne foyent fi fortes &c fi vigou- reufes qu'elles doiuent eftre. Quand donc rémotion de Tap petit fenfitif ne touche du tout point l'entende- ment , & que tout^auili tôft qu'il peut agir fur fcs obiers , il y agit auflî for-^ tement 6c auec autant de lumière, qu'il conuient à vne telle faculté, de forte que la volonté demeure droi* te, &: que l'appétit ne donne piîi^ après aucune peine à tenir dans le de- uoir, cela n'a pas accouftumé d*efi:ro, èonté entre lés paflions vicieufes', parce qu'il nous eft naturel. C'eft pourquoy encore qu'on abiife fouuent

90 LA Morale

de cette façon de parler , que les pre- miers mouuemens ne font pas en no- ftre puiffance, & que d'ordinaire on cxcufe les trop violentes émotions de la Colère ôc de la Conuoitife par ce commun dire, il ne laiffe pourtant pas d'eftre véritable quand il cft bien entendu.

La féconde impneflîon que fait Fobieft en nos facultés , eft celle que Fentendement en reçoit , &: qui don- ne l'occafion de faire reflexion deffus, & de le comparer auec les autres. Et pour expliquer cela, ie me feruiray de îexemple de la femme , lors qu'elle fiit au commancement attaquée par le malin. Car cet obieft du fruit de Tarbre défendu eftant entré dans lafantai{îe,peut bien à la vérité, com- me i*ay dit , courir de dans Tappetit fenfitif par le chemin le plus court. Mais il deuoit auifi aller à Tentendc- ment de la femme , &c y eftre receu ainfi que dans vn miroir. Et parce qu'il eftoit de la condition de ceux qui excitent à vne adion , il a deu y cftre confidcré comme tel , pour iu-5

Chrestïenne. I. Part, ger fi la volonté s'en deuoic émou* uoir ou non, afin de régir les facultés inférieures en confequence. Et c'eft cette opération de Tentendement que- l'on appelle confultation ou dé- libération de la fin & refolution de laquelle les aftions de l'homme dé-^ pendent. Or cette confultation eft toute autre en des facultés cor- rompues , qu'en celles qui font en leur entier. Car les facultés font corrompues, la confultation peut cftre longue &c difficile , de la refolu- tion mauuaife : parce que l'obied qui induit à mal, eft fauorifé de Témotion dereiglée de Tappetit fenfitif ^qui fe remue auec beaucoup de violence, ôc qui trouble &:embarafle les fondions de Tentendemcnt. Et quant à Pob- ieû qui attire au bien, l'entendement ne le contemple pas alTés attentiue* ment , n'en apperçoit pas aflés clai^ rement toutes les bonnes qualités, parce qu'outre le trouble qui luy eft donné par l'appétit fenfitif , la cor- ruption dont il eft défia luy mefine actaint alïbiblit fes opérations , &: ob^^

ft TA 1 Morale .

fcurcit fa lumière. Au lieu que dans vn fujet dont les faculté font parfaite^* tement bien compofées^la confultar tioa fe fait en vn moment, ôc fans que la moindre hefîtation y interuienne. Qiie fi dans la comparaifon de deux ohiefts contraires 5 dont l'vn attire au bien , & l'autre porte au mal, l'entenr dément hefite en fa confultation , ou bien^il faut neceflairement qu'il y en ait vn dont il ne fçait pas , &: dont il jve peut pas encore fçauoir diftinde- ment $z nettement, la nature, ou bien les facultés font défia corrompues en ce fuiet , ou au moins certes com- mencent-elles à s'y corrompre. Conv me lors que la femme fut première- ment tentée par le ferpent, tandis que {es facultés demeurèrent en leur in- tégrité , elle ne flotta du tout point entre ces chofes , ma/tgeray-ie du fruit fendu , oii y oheïray4e au Créateur, La feule comparaifon de ces deux obiets Tvn auec l'autre , laquelle fe fait par l'entendement en vn moment^ acheua la confuîration dont ie parle. Mais ^uand elle commença à balancer en*

Chréstiennê/ I. Part^ 91 tre-deux , Se à douter de quel coftô die pancheroit, fes facultés commen- cèrent auffi à fe corrompre , puis que ces deux obieds fitr luy deupyente- ftre également &: parfaitement bieU' connus. Or à peine eft il befoin que i'aduertiflfe que ce n'eft pas encore eii' cette confultation proprement quc" confifte le vice ny la vertu que ie cher- che en cette première partie de la Mo- rale. Car s*il y a de la hefitation vi* cieufe, &: qui marque de la corruption dans les facultés , ie n'en fuis pas en- core venu à cette partie de mon Trait- , ie parleray de la vertu telle qu'elle conuient a l'homme depuis qu'il a dégénéré de fon intégrité. S'il y a de la hefitation fans vice, parce que lès obiets ne font pas; & ne peu- vent pas eftre alTés diftindcment con- nus , l'entendement eftant en ce fuf- pens ne fait encore ny bien ny mal, &: cherche feulement de quel càfïé il doit encliner , & à quoy il doit re« foudre. S'il n*y a du tout point de he- fitation., comme il n'y en peut pas a- uoir oùles obieds font biciï co.nnas

54 l'A Morale

& les facultés bien entières, quoy que la confultation & refolution fe fafle prefquc en mcfme moment de temps, fi eft-ce pourtant qu il les faut diftin- guer en leur nature. Car la confulta- tion confifte en la comparaifon de deux obieds contraires , & qui indui- fent à de contraires aûions. Au lieu que la refolution gift en la détermina- tion de nos facultés vers l'vn de ce?? obieds feulement , à l'exclufion de Tautre. Or en cette comparaifon de deux obieds , ainfi confiderée preci-, fément en elle mefme , il y a bien vne opération de l'entendement de Miom- me entant qu'il eft homme, de laquel* le il ne fe void trace quelconque dans les autres animaux ; mais il n'y a pour- tant point encore ny de blafme ny de louange en cette opération , non plus qu'en cette fufpenfion de l'en- tendement que i'ay cy defliis dit eftre innocente, parce que les obieds ne font pas encore connus. C'eft feule- ment vne chofe antécédente à ces au- tres opérations de Tintelled qui font véritablement le fujet moral de la

Chrestiennê. L Part. 55 toiiange &c du blafinc.

Lacroifiefmeimpreffion de lobieik en nous eft donc celle qui confifte en la refolution que cette confultatioa engendre -, c'cft à fçauoir quand len- tendement fe détermine à Ivuc des deux chofes fur lefquelles il auoit de- libéré, & que par mefine moyen il re- iette l'autre. Et c'eft ce que les Phi^ lofophes nomment Jugement y Confeil^ Fréelcction , &: de diuerfes autres ap- pellations , qui toutes font beaucoup moins intelligibles que la chofe mef- me. Car il n'y a perfonne qui ne fâ- che très-bien par expérience ce que c'eft que cette inclination de Çqs fa- cultés raifonnablesversTvn des deux obieds entre lefquels fa délibération a balancé quelque temps , en difant, leferay-iey Se, ne leferay-iepas, ÔC que les raifons de faire ou de ne faire pas l'emportent. Tay dit expreffément, cette inclination de fis facultés raifmna- bles , parce que l'entendement & la volonté y concourent tellement, qu** Ariftote, comme nous auons veu cy- deuant , ou ne fe peut refoudre nette-

'^6 ^ L A Mo R A LE- ^

ment , ou laifle pour iridifFcrént la- quelle opération de ces deux facultés y eft la plus confidcrable: Quoy qu'il tn foit la condition de ces deux puif- lances , & leur fubordination , nous oblige à dire que l'opération de lui- telledy eft, quant à Tordre de la na- ture, antécédente à celle de la volon- té ^ puis que c'eft luy qui la meut, &C que c*eft fôn impulfîon qui la déter- mine. Mais leur indifToluble liaifon nous oblige pareillement à reconnoi- ftre qu entre ces deux opérations il n'y a point de diftindion de temps, ^ qu'au mefme moment indiuifiblè que rentendemcnts'encline vers Tvii des obiecbspour le préférer, la volon- té s'y porte pareillement pour s'y ioin- dre. A peu prés comme dans vne îuacliine telle qu'feft vhe liorlbgè , bu îe mouuement d'vne roue dépend de celuy d'vn refTortjVOus conceués bien leut dépendance , &: que celuy du reP fort va naturellement deuant ; maïs vous ne fçauriés conceuoir le moment miquèl le reffort à commencé à che- miner , que vous ne conceuies pareil- lement

Chj^estienne I. Part. 97 Icment que la roue a commencé à fui- ure. Car nous Tentons bien qu'en ces confultations noftre entendement ne fe détermine iamais dVn cofté , que la volonté n'y aille auffi : fi l'enten- dement s'y porte tout entier ôc tout d'vn coup^ tout ce qu'il y a d'appetic en la volonté s'y porte de mefme : fi l'entendement y va par degrés , les mouuemens de la volonté s'eften dent à proportion ; fi Tentendement s'y en- cime languifTamment & en doutant, les inclinations de la volonté n'y font pas moinslafchcs&: chancellantcs : fi, comme il arriue fouuent , l'entende- ment flotte en fa refolution , &c s'ap- proche tantdft d'vn cofté , tantoft de lautre , la volonté foufFre quand ôc quand la mefme hefitation : &: fi l'en- tendement demeure en fufpcns, ôc ba- lancé entre fes deux obiefts , la vo- lonté eft alors comme Téguille frottée d'aymant, quand elle fe trouue à égale diftance entre les deux pôles.

Cette opération donc de la déter- mination de l'entendement , conioin- r@ auec le mouuement de la volonté^

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9S I A MoR A le:

cftant plus proprement qu'aucune âtf tre, laftion qui conuient à l'homme entant qu'il eft homme, eft auflî pro- prement le fiege du blafme & de louange qui conuient à (es produ- £bions entant qu'elles font morales; de forte que toutes les chofes qui viennent en confequence prennent leur teinture de là. Car fi cet appe* tit ratiocinatif fe porte au bien, c'eft le fujet de la louange deuë à la vertu: &: fi au contraire il fe porte au mal, c'eft le fujet du blafme qui eft deu au vice ; &c c'eft de que dépend le iu- gement qu'il faut faire de la quatriè- me impreflion que Tobieâ: fait en nos facultés. Car comme la volonté eft foufordonnée à Tentendement, les fa- cultés inférieures, comme ie lay re- prefenté cydelfus^font foufordonnées à la volonté. Tellement que Tobiefl: qui a pafte des fens dans la fantaifie^ Se de la fantaifie à l'intelleâ: , &: de rintelleâ; dans Tappetit raifonnable, pafle de l'appétit raifonnable dans les autres foit appétits foit facultés, pour y caufer les émotions conuenables à

Chrestienné. I. Part. 99 fa nature. Pour exemple , pofé quo Tobied du fruit défendu, acompagné de tous fes attraits, euft à Timprouiftô produit dans Tappetif fenfitif de la femme , cette légère 5c innocente é- motion dont i'ay tantoft parlé, ôc que cependant au mefme tetpps , le mef- me obied eftant entré dans fon intel- led , celuy de l'autorité du comman- dement de Dieu euft preualu en ce que i*ay nommé la confultation ou la délibération j de forte que la femmo euft promptcmcnt refolu d'obéir au commandement du Créateur-, cet ob- ieft du commandement, & du refped qu elle luy deuoit , paflant dans la vo- lonté, &c de la volonté dans la partie Conuoiteufc de fon ame , en euft au mefme moment chaffé l'autre qui y caufoit de l'émotion , quelque légère qu'elle peut eftre. Car ce qui y peut eftre innocent allant que l'entende- ment ait eu le loifir de receuoir Tob- iedcôtraire , & de faire fes reflexions deffus , s'il perfifte après ces premiers momens là, dénient indubitablement coupable. Mais parce que la femmp

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koô LA Morale

fe laifTa corrompre par la tentation d\i Malin 5 de que dans la comparaifon qu'elle fit de ces deux chofes en fon intellect , celle qui Tinduifoit à tranf-. grefler le commandement, preualut^Â: pafla dans la volonté ; la volonté con- fentant alors auec Tappetit fenfitif , &: fe méfiant , s'il faut ainfî dire , auec la Concupifcible au defir &: en Tappetition de ce fruit , elle ordonna à la faculté qui meut les membres du corps , de remuer ceux qui eftoyent neceffaires pour cette opération , & commit ainfi Tadion que Ton appelle tranfgreilîon, & qui a mérité tant de blafme.

CELLES SONT LES

aâions njolontaires de l'homme ^ Z^ quelles non.

L'Es actions de l'homme cftant ainfi brieuement expofées , il n*eft pas malaifé ny de connoiftre ny d'expliquer quelles font celles qui

Ch^estienne. I. PartT ïoï peuuent eftre appellées volontaires , ôc celles qui ne le font pas. Ce que ie feray icy en peu de paroles , autant que cette première partie de laMorale le requiert , iufques à ce que les au- tres parties de mon Traitté m'obli- gent à en donner vne intelligence, plus exa£te. Pour commencer par , cette légère émotion que nou^ nous figurons que le fruit défendu euft peu produire dans la Conuoitife de la femme , fi par quelque furprife il s'y fuft écoulé de la fantaifie auanc que de toucher l'intellect , à propre^ ment parler n euft pas efté volontaire, puis qu'elle n 'euft pas efté excitée par Tentremife de la volonté. Et fi cette émotion fuft tombée dans vn fujec abiolument deftitué d'mtelligence & ^e volonté , com^me font les beftes, ou bien en qui l'entendement & la volonté ne peuuent agir conformé- ment à leur nature , tels que font les furieux , à qui quelque accident à ra- ui IVfagc de la raifon , ou les enfans, à qui l'aage ne Fa point encore don-- nc y de qu elle l'euft porté iufques à

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ioi La Morale

manger du fruit défendu, Faûion n'en euft pas efté volontaire non plus : dau- tant que ce n'euft pas efté la faculté de la volonté, ny la conduitte de l'en- tendemët, mais la fantaifie feulement -qui euft remué les membres du corps pour la produire. Neantmoins clic euft efté de la nature de celles que les Efcoles novavacnt Jffontanées^ coïti^ me fi vous dilîés , faites de nojhre mou- uement , comme on a de couftumc d'appeller les adions des animaux, quand elles procèdent nuëment àc fimplement de leurs appétits. Dequoy Ton rend cette raifon , premièrement que le principe eneften eux; car c'eft leur appétit qui les meut: puis après, que ces a£bions viennent de quelque connoiftance de leur obieft. Car le fens extérieur en a iugé autant com^ me il en eft capable : &: la fantaifie âpres le fens en a prononcé , propor- tionnément à ce qu'elle en a de fa-^ culte : &: du iugement que la fantaifie en a fait, fi iugement fe doit appeller, eft procedée Témotion de Tappetit, d'où s^cxcite puis après la puiftance

ChrestienneI I. Part: ïôj qu'ordinairement on nome loeomotme.

Si le Malin , vfant de quelque vio- lence , euft contraint la femme à manger du fruit contre fon gré , en luy ouurant la bouche de force , &: le fourrant dedans malgré qu elle en euft 5 fon a£tion n'euft efté ny fponta- née, ny volontaire^parce qu elle n euft procédé ny de fa volonté ny de fon appétit fenfitif. Et bien qu'elle euft eu quelque conoifTance de fon obie£l & de ks circonftanceSjfi eft ce que le principe de fon adion eftant abfo- lument extérieur, fans que (es facul- tés intérieures y contribuaffent , elle n'euft peu eftre attribuée fînon à la caufe de dehors. A peu prés comme fi quelcun faifoit de la force de k% (doigts rebrouffer Taiguillc d Vne hor- loge en arrière , pour luy faire mon- ftrer vne autre heure que celle qu'elle monftreroit fi elle fuiuoit d'elle mef- me le train que luy donne fon mou- uement. Car fi alors elle marque mal, elle n'en mérite pas le blafme , noa plus qu elle n'en mérite pas la louange fi au contraire elle marque bien : dau-

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t64 Ï-A MôRAlÈ

tant c^lîc cela ne vient pas de la tlif- pofition inteiieurc de fts roues, ny de la vigueur de fes reflbrts, mais de la contrainte qu'vne caufeplus puiflan- te luy a donnée, & à laquelle elle n'a peu refifter. En efFeft horfmis que les pièces qui compofent le dedans dVne monftre, n'ont aucune connoif- fance d'elles mefmes, ny de leurs pro- pres opérations , &: que leur aflembla- ge eft vn cfte£l de l'artifice de l'hom- me , &: non vne produdion de la Na- ture Se vn ouurage du Créateur , il n'y a rien qui puifle mieux reprefen- terlafubordination des puiflances de nos amcs , ny , pour ainfi dire, la fpon- taneité ou la contrainte de leurs a- ftions , que le mouuement de ces au- tomates,quand ils font bien entendus. Parce qu'encore que ce foit par quel- que efpece de violence que le grand reflbrt tire après foy toutes les autres parties de Touurage , & que fa force ïcs fait remuif r , fi eft ce que cela re- prefente fort bien comment les autres facultés de l'ame dépendent de Ten- tendement i &: que fi vous compares

Ghrestienne. I. Part. lof ce me Tuement auec celuy que luy donne ou la fecoufîe d'vne cheute, ou Tapplication de la main, ce dernier vous paroiftra violent , dC l'autre en quelque forte volontaire.

Si quand le MaUn Ta tentée elle n'euft point eu de connoiflance de la defenfe que Dieu auoit faite à fou mary, de manger du fruit de cet arbre 5 &: que fans luy dire ce que c'eftoit^, le ferpent luy en euft prefenté à man- ger 5 comme vne chofe indifterehte, fon action i^' euft pas efté non plus ny fpontanée ny volontaire , finon en vn certain égard , à fçauoir entant quo c'eftoit Amplement vne a(3:ion ; mais non pas entant qu'elle regardoit la Morale , pour mériter reprehenfion. Car fi vous la confiderés îimplement comme vne adion, elle euft efté fpon- tanée, en ce qu'elle euft peu procéder de la connoifTance de fon obie£b , &: de Pappetit que cette connoiflance euft produit dans la Conuoitife. Et elle euft efté volontaire ^ parce qu'en- core que dans les fujets deftitués de xaifon & de volonté , les adions cor;*

ïotf 3LA Morale.

porellcs qui confiftent en la motion & en l'agitation des membres , vien- nent Amplement de la fantaifie &: de Tappetit fenfitif , qui font les facultés qui commandent à la locomotiue en eux : dans les fujets doués de raifon &C d'entendement , comme eft Thomme,, ces aftions fe font ordinairement par l'entremife de ces plus hautes èc plus excellentes facultés. Mais entant que CCS adions fe rapportent à la Mora- le 5 & qu'elles s'appellent ou obeiflan- ce , ou rébellion , celle de la femme n'euft efté ny P vne ny Tautre de ces chofes, au cas que ie viens depropo- fer, parce qu'elle n'euft pas connu fon obieâ: fous les qualités fous lefquelles il fe rapportoit au vice ou à la vertu, Le commandement , ou pour mieux dire , la defenfe eftant de telle nature qu'elle n'en pouuoit rien ny deuiner ny foupçonner, & par ce moyen l'In- telleâ: n*en eftant aucunement in- formé 5 il ne pouuoit confulter def- fus , ny la volonté par confequeat s'y porter ou s'en reculer , puis qu'il n'y a du tout pomt foit d amour foit

Chrestienne. I. Part. 107 d'auerfion en nous pour les chofcs entièrement inconnues.

Si elle euft eu quelque connoiflan- ce de la defenfe , mais que le fruit luy cuft efté abfolument inconnu , elle euft deu fans doute apporter beau- coup de précaution de de circonfpe* ftion à ne manger pas de tous les fruits du iardin indifféremment, iuC- ques à ce qa elle fe fuft bien exa£te- ment enquife de celuy dont Dieu ne leur auoit pas permis Tvfage. Car de propos délibéré elle en euft afFefté Tignorance^pour fatisfaire à la volupté de fon gouft, ou à la curiofité de fou efprit, fans encourir le iufte blafmc qu'apporte la tranfgreffion ; il n'euft fallu pour la conuaincre qu'elle l'auoit mérité , finon le témoignage de fa confcience,qui n'euft iamais manqué de le luy reprocher après Taftion. Par* ce que tandis que la partie Conuoi- teufe de Famé eft emeuë , &: qu'elle ofFufque la lumière de Tintelligencc, Ton fe flatte bien en cette efperancc d'eftre excufé à caufe de cette igno- rance , & que le iuge de rVniuep no

tô8 LA Morale

nous prendra pas à la rigueur. Mais quand Pémotion de la paflîon eft cal- mée 5 ce qui arriue par la iouifTance de ce queFon adefiré^alors la lumière de Tintelleâ: qui auparauant eftoic trou- fcléj reprend fa première clarté, ôc fça^ chant bien qu il a recherché d'igno- rer ce qu'il ne vouloit pas fçauoir, il ne fe peut luy mefme empefcher qu'il ne prononce de Tadion comme Vn bon iuge fait d'vn crime. Si c41e in'euft pas affeété cette ignorance de jropos delibcré^mais que neantmoins elle y euft apporté trop de fecurité oa de nonchalance , Tadion n'euft pas laiffé d'eftre tenue pour volontaire, ny de mériter punition. Parce que la chofe eftoit d'affés d'importances^: celuy qui auoit fait la defenfe, eftoit aflés digne de refpeâ: , pout deuoir cueiller toutes les puiflances de fon ame à fe garder d'vne aftion qui luy deuoit eftre pernicieufe , ^ dans la- quelle eftoit enclofe vne rebeUion contre Dieu. Et quand les lurifcon- fuites ne l'auroient pomt ainfi défini, la confcience de toute perfonuetant

Chrestiennê. I. PartÏ îo^ foie peu prudente ôc raifonnable , luy appren droit que telle forte de negli^ gence en bonne iuftice paffe pour va dol. Mais fi après auoir connu ce fruit 5 le malin le luy euft prcfenté dé- guifé de telle façon , que nonobftanc toutes (es précautions. Se toute la pru- dence dont fonfcxe eftoit capable en cette perfeftion de Ces facultés , elle l'euft pris pour vn de ceux dont Tv- fage luy eftoit permis, c'eftchofe fans doute que cette ignorance euft mis fon adion au rang de celles que Ton nomme inuolontaires , parce que le principe n'en euft pas efté dans fa vo- lonté. Car il faut bien diftinguer en- tre cette ignorance icy, 3c celle qui, comme i'ay défia dit par les paroles d' Ariftote , fe mefle dans les confulta- tions , ôc dans les refolutions qui font les hommes mefchans. LVne eft vne ignorance d'vne chofe que tout le monde peut &: doit fçauoïr, c'eft qu'il faut préférer la crainte de Dieu , ^ la charité enuers le prochain , 3c la beauté de la fainteté , à IVrile ou au deledable , dont la iouïflance peuc

îîô La Morale

flatter nos conuoitifes & nos paflîons? L'autre eft vne ignorance de certai- nes circonftances particulières d'vn obieâ: , lefquelles nous ne pouuons fçauoir de nous mefmes5&: qui ne nous eftant pas découuertesny manifeftées d'ailleurs, impofent à noftre entende^ ment , de quelque lumière de pru-^^ dcnce qu'il foit éclairé , &: quelque foin qu'il y puifle apporter , ou qu'vu autr^ y apporteroit^qui ne feroit point preuenu de quelque mauuaife difpo- fition en l'ame. Celle n'eft point tellement la caufe des mauuaifes a- iftions des hommes que ce ne foit à leur volonté qu'il les faut attribuer. Car c'eft ou leur nonchalance vicieu- fe , ou la paflîon qui les tranfporte , ou quelque autre mauuaife difpofition de leurs âmes qui l'a produite ; de par confequent ils fe la doiuent imputer. Celle cy eft abfolument la caufe de Tadion laquelle s'en eft enfumie j dau- tant qu'elle ne tire point fon origine delà volonté ny des paffions de celuy en qui elle fe trouue, mais de la natu- re de la chofe mefme,où i'efprit de

CHRESTIENîlÊr I. PaRtT ÎII

îliomme ne peut pénétrer. Vout monftrer que ces adions ne font pas volontaires ^ Ariftote fe fert d'vn argument tiré du repentir qu'on en a. Car c'eft bien certes vne chofe que la Nature enfeigne, qu'il faut confer- uer la vie à fon père autant que Ton peut. Mais ce n'eft pas vne chofe que la Nature enfeigne pareillement, que de connoiftre (on père , quand on en a efté feparé dés fon bas aage^ 6^ nourry en lieu on ne pouuoic auoir nouuelles de luy. Si donc vu père ôc vn fils qui ne fe connoiffent point , fe rencontrent comme eftran- gers,& qu'en cette commune igno- rance de l'vn &: de l'autre , Toccafion de la guerre les oblige à fe battre com- me ennemis , ladion du fils qui tué le père , eft bien volontaire en ce que c'eft vne adion, & mefmes vne a^lion deftinée à ofter la vie à vn homme. Mais entant que cette aûion ofte la vie à fon perc,elle n'eft nullement vo- lontaire , dautant que fon entende-» ment en cette occurrence n a ny fait ny mefmes peu faire aucune réflexion

HZ LA Mo R A LE

fur cette relation. Dequoy le cara-» £bere indubitable eft , que s'il le re- connoit pour fon père après fa mort, il en demeure outré de douleur , s'il n'eft horriblement barbare. Que fi dans les Tragédies , les lamentations du miferable Ocdipus , à qui vn tel accident eftoit arriué, paflent iufques à condamner fon adion comme vn crime , ce n'eft pas que c'en fuft vn véritablement. C'eft que l'excès de fa douleur attache tellement fon ef- f prit à la contemplation du fujet fur lequel il auoit exécuté fon aftion^qu'il ne luy donne pas le loifir de faire re- flexion fur les vrais principes qui Ta- uoy cm produitte. Et parce que qui tue fon père en le fçachant eftre tel, cornet vn afte dénaturé , de digne des fuppiices les plus rigoureux , Tauoir tué^quoy qu'en ne le fçachant pas^, met d'abord vne horrible idée de fon aftion dans l'imagination d'vn bon fils 5 lors qu'il vient à le reconnoiftre. Ce que les Poètes ont voulu repre- fenter en difant que de la force de fon defefpoir Oedipus s*.cn eftoit

arrache

CHREî;f lENNÊ. 1. Part. 113 arraché les yeux de la tefte.

Si la femme euft eftc réduite à cet- te extrémité, qu'on Teuft contrainte à faire le chois 5 ou de commettre cette tranfgreffion du comandement de Dieu 5 ou de foufïrir foit la mort foit quelque deshonneur irrémédiable en fa perfonnc , 6c que par cette vio- lence elle fe fuft enfin refoluë à man- ger du fruit défendu , fon aftion euft efté en partie volontaire , &: en partie non. Elle n'euft pas efté volontaire en ce que fans cette violence que la peur de la mort ou du deshoneur fait à Tefprit, elle ne fe fuft pas portée d'elle meime Se de fon bon gré à cette trant greflîon , de forte qu'en cet égard le principe defonaûion euft efté exter- ne. Elle euft efté volontaire , en ce qu'à riicure mefme qu'obligée par la terreur de la mort ou du deshonneur elle fe fuft refoluë à l'a£bion ^ c'euft efte volontairement qu'elle l'euft fait^, &: en fuitte d'vne confultation, de la- quelle, après auoir balancé de cofté^ d'autre les obieds &c les raifons, le re- fultat auroit efté , 11 vaut mieux élire

H

04 i A Moral*

d'offencer Dieu , que de foiiftnr la mort , ou de tomber dans vn def- honneur irrémédiable. De forte que comme Ariftote parle , quand il exa- mine la nature de la refolution de ceux que le péril d'vnc forte tempefte in- duit à ictter leurs marchandifes dans la mer , fon aftion euft efté méfiée, pour n'appartenir ny à Tvn ny à l'au- tre des deux genres precifément. Ne- antmoins ce Philofophe a encore rai- fon quand il dit, que telles fortes d'a- ftions doment pluftoft eftrc mifes au nombre de celles qui font volontaires; parce que la nature d'vne aftion doit eftre confiderée dans les prochains principes qui la produifent y îk, dans les circonftances particulières qui la déterminent, &: non pas dans (qs prin- cipes plus éloignes , & dans la condi- tion plus vague 6l plus indéterminée de fon eftre. Mais Padion de la fem- me ayant efté telle qu'elle a efté, c'cft à dire produite par vn obi cet porté par les fens dans la fantaifie ,& de la fiintaifie dans Tintellcd ; & Fintelled ayant dehbevc deftus, c'eft à dire^,

ChrestienneT I. Part! îif î'ayant comparé auec le commande- ment ; & en fin , Tvn ôc Tautre luy eftant très-bien connus fous toutes les conditions par lefquelles ils fe rap- portoyent à la Morale, fans auoir fouf- fert ny aucune violence au corps, ny aucune contrainte à Tefprit , de fans qu'il y euft ny péril ny douleur qui donnaft la pente à la délibération j la refolution qu^elle y prit, &:ce qui s'en enfuiuit, ne peut élire tenu finon pour abfolument volontaire. Toutesfois, parce qu'on a accouftumé de dire que pour faire qu'vne adion foit vérita- blement volontaire , il eft necelfaire que le principe 3c le fujet qui la pro- duit, ait connoifTance de la fin à la- quelle fes adions doiuet vifer, il nous faut icy parler delà fin des aftions hu^ maines, & particulièrement de la dcx- ftiçre &; principale.

€^S^&i^2^

H

\i6 lA Morale

CONSIDERATION DB LA

fin des aÛions*des hommes ; ^

nommément de la principale

f0 dernière.

CEft vnc chofe trcs-indubitable que toutes les aclions que les hommes font entant qu hommes^c'eft à dire , par la Raifonj&en fuitte d'vne délibération , tendent à quelque fin que la raifon mefme fe propofe. Car dans les chofes naturelles , ^ defti- tuées de fentiment , le mouuement tend bien à vne certaine fin. AfTeurc- ment ce n'eft pas pour néant &: témé- rairement qu'il fe fait que les chofes pefantes vont en bas , &: que les légè- res montent. Elles cherchent leur repos, &: la place qui leur a efté ordon- née par l'auteur de la Nature. Mais ce ne font pas ces chofes mefmes qui fe font ejftabli leur fin , dont elles n'ont point de connoiffance. C'eft vne intelligence externe , à fçauoir

Chrestienne. L Part" 117 celle qui a formé le monde , qui leur a affigné leur ftation &: leur but , &c qui leur a donné les inclinations qui les y portent^fans qu'elles en fçachenc rien. Dans les animaux deftitués de la raifon , les appétits qui les incitent à leurs aftions , tendent auflî à vne certaine fin. Car c'eft pour leur con- feruation que ces appétits leur ont €fté donnes par celuy qui les a créés, &: qui a eu foin d'en entretenir tant les efpecespour toûiours, que mefmes les indiuidus , chacun pour vn certain temps conucnable. Toutesfois ce ne font pas les animaux qui fe font con- ftitué cette fin là, &: à proprement par- ler 5 ils n'en ont point de vraye & di- ftinfte connoifTance. On void bien qu'ils fe portent aux chofes qui fer- uent à leur conferuation ; mais ils ne fçauent point ny ce que c'eft que leur conferuation;, ny comment ces chofes y feruent. Quant aux hommes, dautant que le principe de la raifon cft capable de la connoifTance d'vne fin, ils s'en propofent toûiours vne en leurs aclionsjôi: en la connoiiTant corn-

H 3

'ii8 1 A Moral e

me telle, ils iugent aufli des moyens

qui font propres pour y paruenir^apres

quoy ils les y employent félon leur

puiffance.

II n'eft pas moins indubitable, que cette fin , quelle qu'elle fbit , eft toûiiours vn bien ; foit en luy mefme, ôc véritablement 5 foit au moins en l'opinion qu'en a celuy qui agit , 6c peut eftre en quelque apparence exté- rieure. Car il eft très-certain qu'il y a des biens véritables, &c que les hom- mes fe deuroycnt propofer pour fin en leurs actions , qu'ils ne fe propofent pas ^urtant. Mais c'eft qu'ils ne les connoiflent pas pour biens , &: que peut eftre au premier afpect ils n'en ont pas l'apparence. Et il eft très- certain encore qu'il y a des maux, que les hommes ne fe deuroyent iamais propofer pour fin de leurs adions, qu'ils fe propofent pourtant. Mais c'eft qu'ils ne les connoiflent pas non plus pour maux , 3c que peut eftre à leur premier abord ils ont vne appa- rence contraire. Qnpy qu'il en foit, yrayou faux^ les hommes fe mettent

ChrbstienneT I. Part. 119 toûiours deuant les yeux pour fin de leurs allions le bierr apparent , c'eft à dire , celuy dont ils ont cette opi^ nion qu'il cft bien , encore qu'en cet-^ te corruption dans laquelle nous nous trouuons maintenant, le plus fouuent ils s'y trompent. C'eft pourquoy Ari- ftotc ayant commence fa Morale par cette confideration,que tous les hom- mes, à quelque art qu'ils fe dcftinent, à quelque fcience qu'ils s'appliquent, &: quelque defTeîn qu'ils forment, ou quelque refolution qu'ils prennent, vifentnecefl'airement à quelque bien, adioufte que les Anciens ont défini le bien par ce que toutes chofes défirent. Non que toutes chofes défirent vn mefme bien, mais dautant que ce que chacune defire eft vn bien , ou au moins qu elle Peftime tel, &" que rien ne peut eftre defire finon fous cette conception &: fous cette idée. Et parce que tendre à quelque chofe , ^ la defirer^, font deux paroles à la vérité, mais qui ne femblent fignifier finon vn mefme mouuement , & qu'au ter- me de tendre fe rapporte celuy àcfn^

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jio lA Morale

comme ce terme de iie» à fon rapport à celuy de dejirer , les Philofophes prennent ces mots àç fin^ Ik. de hient^ pour termes de mefme fignification, & d'intelligence équipolente.

Cela pofé, ils diftinguent les fins ou les biens ^ & les diftribuent en princi-? paux & fubalternes , fe feruant, pour xnieux expliquer cela , de la fubordi-! najion des facultés &: des arts,. Eh efted , c*eft de la nature <ie la fin de chacun art , &: du bien que Ton s'y propofe j que dépend fon excellence^ Â: Tordre félon lequel ils font difpo-» fés entr*6ux. Comme, pour reprefen- ter icy Texemple employé par Arifto- te , l'art de faire des, mords de bride a pour fin, de conftruire vn inftrumenc parle moyen duquel les écuyers met-^ tent les chenaux à la raifon, & les ren- dent obeïfl'ans* L'art des écuyers rend les chenaux obeïfl'ans pour s'en feruir en toutes occafions, ^ particu- lièrement dans les plus belles , telles que font celles de la guerre. L'art de fe bien feruir des chenaux en telles occafions,a pour but d'exécuter aueç

Chrestienne. I. Part, iii honneur les ordres d'vn Capitaine ài qui appartient le comandement. L'art de commander en qualité de Capitai- ne, tend à Tacquifition de la viftoire, pour rendre l'Eftat plus capable du bon & iufte gouuernement du Sou- uerain. En fin , l'art de bien & iuftc- ment gouuerner en Souuerain , tend à la félicité de l'Eftat mefme. D'où il cil aifé de recueillir que la felicit^ de l'Eftat eft la principale &c la demie]. re de toutes ces fins , & le bien le plui excellent que fc propofent ces diucrs arts en leur différente enchainure , &2 que Fart de bien &: iuftement gou- uerner , qui refide dans le Souuerain, cft celuy qui tient le premier rang en cette concaténation , & la maiftrefTe faculté dont toutes les autres dépen- dent. Et à cela les Philofophes ad- iouftent encore vne autre comparai- fon des arts entr'eux. C'eft qu'il y en a quelques vns dont la fin eft de laifTer quelque production après foy, comme eft le mords dVne bride , ou quelque autre chofe de tel : au lieu que les au- tres n ont pour but fmon vne eertam^

îzr LA Morale

ûftion , aprG$ laquelle il ne demeuré aucim ouurage ; 6c tel eft Tare de l'é- cuycr, dont le but eft de bien manier vn cheual, &: celuy d'vn ioiieur de lut, qui n'a autre fin que d'en bien faire parler les cordes. En cette première iôrte d'arts , fi vous comparés Touura- ge auec Taftion qui le produit , il eft fans doute meilleur qu cUe^parcc qu'il tient lieu de fin, &: que c'eft le bien auquel Taftion mefmc tend. Dans les autres, l'adion eft ficxcellentc,que non feulement c'eft la fin à laquelle on tend 5 mais c'cft vne fin plus belle &: plus noble de foy, que n*eft Touura- ge que produifent Tes arts qui leur font foufordonncs. Tellement qu'il eft naturellement beaucoup plus beau de bien manier vn cheual , que non pas de faire bien vn mords, &: de bien conduire vn nauire félon les loix de la nauigation , ou de bien ioîier desL inftrumens , que de fçauoir compofer vn galion ou vne guitcrre . Et de cela la raifon eft euidcnte. C'eft que ces ouurages ne fe font finon chacun pp\ir cette adion, 6^ que fi on ne vou^

Chrestienne. I. Part, iij loit ny manier des chenaux, ny naui- ger fur la mer, ny iouer de la guiterre ou du lut , on ne feroit iamais ny de nauires, ny de mords, ny de ces inftru» mens de Mufique.

De les Philofophes pafTent à prouuer qu'il y a vn fouuerain bien, lequel eft fi noble & fi excellent, qu'il ne fe peut &: ne fe doit rien fouliait^ ter dauantage. Car qu'il y ait des biens qui font plus grands les vns que les autres , &: par confequent plus à fouhaitter , ce que ie viens de repre- lenter le monftre manifeftement. Et qu'il y en doiue auoir quelcun ii grand qu'il n'y en a point de plus grand que luy, c'eft chofe claire par la nature de toutes fubordinatios , Ton paruient en fin à quelque terme au delà duquel il n'y a pas moyen d'aller , parce qu'il ne s'y rencontre plus rien qui foit do la nature des chofes ainfî fubordinécs. Comme de degré en degré nous fom- mes tantoft paruenus à la félicité de TEftat, au delà dclaquelle il n'y a plus rien à fouhaitter en ce qui regarde la J^olice. Et veu que l'homme peut

ii4 l'A Morale

eftre confidcrc en deux égards , à fça^ uoir entant qu'il eft homme , & , ce qui Vient en confcqucnce,entint qu il cft capable de faire partie d'vne focie- tc , & mefmes qu'il y a vne naturelle inclination , il eft encore plus raifon- nable que la Nature ait eftabli vne dernière fin à fes adions entant qu*il cft homme , dans la ioiiiflance de la- quelle il trouue fa félicite , que non pas qu*il y en ait vne ordonnée pour îâ Police 5 ou chacun homme n'eft confideré que comme vne partie du tout. En effcù s'il n*y auoit vn fou- uefain bien ordonné pour l'homme, à Tacquifition duquel il doit tendre^&r à la poifeffion dequoy il doit s'arrefter, à peine pourrions nous dire qu'il y euft aucuns autres biens qui mcritaifent véritablement ce nom. Car comme nous auons défia dit, la fin des aftions à!yn homme, & le bien qu*il fe prô- pofe en les faifant , ne font qu'vne mefmc chofe dcfignée par differens mots. Or en ce que nous auons cy- deffds pofé de TEftat, il eft clair que fa félicité feule mérite proprement le

Chrestienne. I. Part.^ îiy

norn fin , & que toutes les autres chofes que nous y auons foufordon- nées^ne tiennent lieu finon de moyens neceflaires pour y paruenir. De forte qu'à peine feroit on aucune eftime ny des mords de bride, ny de robeïflance des chenaux , ny de la viûoire mefme, fi cela ne contribuoit quelque chofe au bon &: légitime gouuernemêt d'où la félicite de l'Eftat dépend. De plus, s*il n'y auoit point de fouuerain bien arrefler le but de nos adions &: de nos defirSjOU bien il les faudroit repri- mer en nous, &: les empefcher de s'é- mouuoir, ou bien il les faudroit laiffer aller à l'infini, puis qu iln^ auroit au- cun bien déterminé fur lequel il fe peuffent repofer , celuy que nous au- rions ioint le dernier n'eftant aucune- ment à fouhaitter,finon afin d'en auoi^ vn autre. Or quant à reprimer ces defirs qui nous tirent vers noftre bien, c'eft chofe qui ne nous eft pas permi- fe, puis que Dieu nous les a donnés, &:qui nous eft encore moins poflible, puis qu'ils nous font auffi naturels que aoftre eftre mcfme. Et pour ce qui

ti6 ' r. A Morale

cft de les laiiFer aller à Tin fini ^ c'eft chofe que nous ne pouuons non plus, êc qui n'eft pas de rinftitution de la Nature. Car ce n'eft nullement fru- ftratoirement qu'elle nous a donné ces appétits qui nous induifent à re- chercher noftrc propre félicité , &: neantmoins ce feroit pour néant qu'- elle nous les auroit donnés , fi ayant mis vn efpace infini entre noftre feh^ cité &: nous , elle nous auoit ofté le moyen d'y pouuoir atteindre. Il y a donc vn Touuerain bien de l'homme, &: vn fouuerain &: dernier but de Ces afliions, auquel il faut necelTairemenc qu'elles fe rapportent.

CONSIVSRATION DIT

fouuerain bien de Ihommc.

PVis qu'il faut que nos avions Ce rapportent à vn fouuerain but, il eft neceflaire d'enauoir laconnoif- fance , &: c*eft auec excellente raifoa

Chrestienne. I. PAur." 117 qu'Ariftotc a dit qu elle eft d'vne im- portance incomparable pour la con- duite de la vie* Car pour ce que les natures intelligentes, qui fe propofent vne certaine fin en leurs opérations 5, tafchent d'employer des moyens con- uenables pour y paruenir, quelle fera la nature de la fin que chacun fepro- pofera , telle auflî fera fans doute la condition des moyens mefmes. Tel- lement que fi quelcun met la félicite dans lapofreffion des richeffes, il n'au- ra iamais d'autre penfée que d en ac- quérir : S'il Teftablit en la îouïflance de la voIupt;é , il employera tout ce qu il aura d'induftrie àfe procurer tou- tes fortes de contentemcns ; &: s'il le conftitue en ce que l'on nomme ordi- nairenntent de ce nom d'honneur, cet- te imagination l'occupera de telle fa- çon qu'il n'y aura reflort qu'il ne fafle ioiier pour parucnir à quelque nota- ble dignité , &: pour faire valoir non fon eihme feulement , mais auffi fon. autorité entre les hommes.. Or trou- ue-ie certes fort bonnes &: fore pers- an entes les raifons par lefqueUes oh

us LA Morale

a accouftumé de combatre l'imagina-^ tion de ceux qui colloquent la félicité en quelcune de ces chofes.Les Philo- fophes difent premièrement qu il eft bien mal aifé de reuffir au deffein d'ac- quérir de grandes richefTes , fans faire quelques extorfions, ou fans exercer quelqueefpece de brigâdage.Etc'eft vne chofe dont la preuue n*eft que H'op claire dans Texpericce de tous les temps. Ils adiouftent que quand cela ne feroit pas , on ne defire les riclielfes fînon pour auoir toutes foites de vo- luptés & de commodités à fouhait, ou bien pour fe faire eftimer & honorer par les autres hommes. Tellement que le fouuerain bien feroit pluftoft dans les voluptés dont les richefles font iouïr^ ou dans Teftime Se dans Hionneur qu'elles concilient , que non pas en la pofleflîon des richeffes mefmes. C'eft vn raifonnement bien pris. Car il eft déformais clair que le bien auquel on regarde comme à fon but, eft de fa nature plus à defirer que jne font ceux qui feruent de moyens pour en auoir la iouïfTance. Us con-

fiderenc

Chrestienne. I. Part, ii^ ûàcTcnt qu*il arriue aiTés fouuenc que les richefles font polTedées par ceux qui les méritent le moins , 6c qu^au contraire on les void aflcs rarement entre les mains de ceux qui en font les plus dignes. Et ils ont raifon de trouuer abfurde l'opinion qui fait ainfi les vicieux fouuerainement heureux, & qui priue abfolument du fouuerain bien les perfonnes poures en qui la vertuferoiteminente. Ils remarquent qu*on peut abufer des richeffes : ce qui ne fe void que trop ordinairemet: éc maintiennet qu il n'y a point d'ap- parence qu'on puiiîe abufer du fou- uerain bien; parce que Tabus de quel- que cliofe eft vn m.al ^ ^ encore fore confiderable entre les maux^puis qu'il confifte en vne adion vicieufe : or il ne fe peut pas faire que dans le fou- Herain bien telle forte de mal puif- fe trouuer place. ^ En fin^ la pofTeffioa des richefles efttres-incGrtaine,^: fu- icttc à vne infinité d'accidens. Or n*efl:-il pas raifonnable de fafre du fou- uerain bien vn ioiiet de la fortune , &c il conuicnt incomparablement mieuj^

r3 5 LaMorAle

à fa nature d'eftre bien ferme & biciï

permanent.

Contre ceux qui logent le fouue- rain bien dans cette forte d'honneur qu'on nomme ainfi ordinairement, les Philofophes allèguent que l'honntur confifte principalement en Teftime que les autres font de nous^Â: partant qu'il eft moins en celuy à qui il eft déféré , que non pas en ceux qui le défèrent. Et ils ont raifon de penfer qu il faut que le fouuerain bien foit quelque chofe que nous pofTedions mous mefmes en propre, &: qui ne dé- pende pas de l'imagination d'autruy* loignés à cela que Teftime que les au- tres font de nous , vient en grande partie de la conftitution de leurs ef- prits, parce que les hommes iugent ordinairement de leurs obie£bs félon qu'ils font bien ou mal difpofés par les habitudes de leurs âmes. De forte que il la mauuaife difpofition des ef- prits des hommes fait qu'Us iugent de nous ôc de nos actions à contrefens, noftre bonheur ou noitrc malheur prendra fon eitrç de la peruerfxté de

Chrestienne^ I. Part.^ ijf leur ivigemenr : ce qui ne peut con- ucnir à la fage difpenfation de Dieu &: de la Nature. Et fi après en auoir bien iugé quelque temps , leur in- conftance naturelle leur fait changer d'aduis fansfujet, comme c'eft chofe qui arriue afTés fréquemment , noftre bonheur fera comme vne girouette mobile à tout vent j ce que nous auons défia dit eilre indigne de Texcellencc du fouuerain bien. Car Ariftote a raifon de dire qu'vnc de fcs plus ef- fèntielles quâlités,eft qu'il foit difficile à ébranler, s'iln'eft tout à fait inuaria- ble. En vn mot nous n'aimons Thon- ncur finon parce que c'eft vne recon- noiflance du bien que Ton cftime eftre en nous. Soit donc que ce bien con- fifte dans les richefles , ou dans les dignités 5 ou dans les vertus, ( car ce font les principaux Se les ordinai- res obieds de Thonneur que les hom- mes fe rendent les vns aux autres ) il feroit beaucoup plus raifonnable de mettre le bonheur dans la pofi'efiîon de ces biens là, que dan$ la reconnoit

I

ïji La Môr a tE

fance qu'on nous en donne. Car l'honneur n'eft que comme vn éclat &:vnerefplendeur3 laquelle émane de ces biens reéls5&: qui receuë dans Tef- prit de ceux qui les confiderent en nous 3 fe reflcchift fur nous mefmcs. Or la lumière qui exifte véritablement dans vn corps kunineux, eft fans con- tredit plus à eftimer , que celle qui rejaillift par la feule reflexion de l'illu- mination qu'en reçoiuent les corps opaques.

En fin 5 ils raifonne'nt ainfî contre ceux qui eftabliflent le fouuerain bien dans la volupté : C'eft qu'il faut que cette volupté foit de Tefprit ou du corps. Or quant à mettre la félicité de riiomme dans la feule volupté du corps 5 c'eft le réduire à la condition des animaux que la nature à priués de la raifon. Et véritablement il vaudroit mieux n'auoir du tout point de raifon, que de ne la faire feruir à autre em- ploy finon àramaffcr &: à recueillir de tous codés des voluptés corporelles. Car au lieu que la nature a formé

Chrestiênne. I. PartT 135 le corps pour feruir par fes organes aux fondions de refprit, ce feroit ren- uerfer Tordre qu'elle a fuiui dans la compolition de noftrc eftrc ^ ôc afTu- iettir nos efprits aux organes de noftre corps 5 qui eft de beaucoup la moins noble partie de noftre nature. AufS à peine y a-t-il autres que ceux en qui les fentimens de la chair ont entière- ment corrompu l'entendement , ou que quelque défaut de leur confor- mation naturelle a priués du bel vfage de la Raifon ^ qui embraflent tout de bon cette opinion touchant le fouue- rain bien de l'homme : & quoy qu'E- picure en ait efté autresfois diffamé, ^ que maintenant encore on appelle Epicuriens ceux qui viuent corne s'ils iogeoyêtleurfouuerainc félicité dans les contentemens du corps , û eft ce qu'il y a toulîours eu quclcun qui a fouftcnu que ce n'eftoit pas fon opinion , Se ie voy en ce temps quan- tité de gens qui tafchent à l'en défen- dre. Or n'y a t'il point d'apparence de mettre le fouuerain point de npAre

I ?

134 iA Moral E^

bonheur dans vne chofe il n'y a que les brutaux ôc les débauchés qui le vueillent conftituer, & dont tous les hommes d'honneur ont honte. Car encore qu'il y ait au monde beau- coup plus de fols que de fages , ôc de vicieux que de vertueux , il n'eft pas neantmoins raifonnable de priuer les fages &c les vertueux de toute forte de bonheur , 8^ pour fi petit que le nom- bre en foit, fi eft ce qu'ils valent mieux que tout le relie de la terre. Et il ne faut pas dire qu'il ne tient qu'à eux qu'ils ne iouiffent du mefme bonheur 4lont iouïffent les voluptueux. Parce que s'ils ne veulent prendre des vo- luptés corporelles finon autant qu'il conuient à d'honneftes gens, ils n'au- tont pas vn grand gouft de leur féli- cité : fans conter que pour fe tenir dans cette modération qui eft bien feante à ceux qui font véritablement vertueux, il faudra que leur tempé- rance foit perpétuellement fur fes gar- des 5 pour reigler leurs voluptés à la méfure de la raifon. Or cft-il qu'ayant^

CHRESTIENNEr I. PartI 13^

comme nous auons naturellement, de rinclination à la volupté, &c les fages, pour s'empcfcher de tomber dans l'ex- cès des plaifirs du corps, s'efForçanc de fe ietter pluftoft dans l'extrémité qui confifte au défaut de leur vfage, ce fera vne fort bigearre imagination, que fi nous voulons perfîfter à eftre fa- ges, nous foyons obligés de nous pri- uer nous mefmes d'vne bonne partie de noftre bonheur, de peur d'cxcedec en ce qui eft de fa iouiflance. Ce qui eft la mefme chofe que fi on difoic que de peur d' eftre trop heureux il faut que nous ne le foyons pas afles, &c que le défaut de la félicité eft en quel- que forte meilleur que fa perfedion Se fa plénitude. Si au contraire ils veu- lent vfer de leur fouuerain bien, de la façon que la nature du fouuerain bien lèvent, c'eft à dire le plus pleinement qu'il eft poilîble ,il faudra qu'ils re- noncent à la tempérance & à toutes les autres vertus,&: que pour eftre par- faitement heureux entant qu'ils font .animaux , ils fe priuent de tous Iqs

J3^ laMorale.

vrais biens qui leur conuicnnent en- tant qu'ils font hommes.

Pour ce qui eft de la volupté de l'efprit , dautant qiï/elle ne peut pro-= ccder que du fentiment de fcs belles opérations , on a raifon de dire que la fede qui y eftablitle fouuerain bien, eft de toutes celles il y a quelque erreur , la plus honnéfte fans doute &: la moins déraifonnable. Car quoy qu'il en foit^ puis qu'il n'y a pas moyen de ioiiir de cette forte de voluptés, fmon en faifant des adions dignes de la raifon de l'homme, ôc conformes à la vertu /ceux qui mettent leur bonheur 3 s'obligent neceffairement à ne faire que des aftions vertueufes. Et de plus 5 la volupté eftant vn puif- faut aiguillon aux aftions qui la pro- duifent, s'ils eftoient viuement & pro- fondement perfuadés que des aftions de vertu refulte vn contentement fi fenfible &fi charmant , qu'il mérite le tiltre de fouuerain bien , ils fe de- uroyent porter auec vne ardeur in- croyable aux opérations d'où ce con-

Chkestienne. I. Part. 137 tentement germe. Teftime pour- tant que quand Ariltote adit que cet- te volupté qui naift du fenUment des bonnes aftions, eftbien à la venté vne fin, mais neantmoins que c*eft vne fin qui furuient à la principale , 6^ qiû fs diilingue d'auec elle, quoy qu elle s'y attache,^: s'y incorpore, &: quelle y a fa racine^comme le guy dans le chef- ne fur lequel il s'eft formé , il a mis en auant vne chofe qui n'eft pas plus fubtile que véritable. Quiconque fc difpofe à faire vne aftion de vertu, en preuoyant qu'il luy en reuiendra de la fatisfaCtion ,.fait quelque reflexion deflus , 5c fouffre qu'il fe fcpare quel- que chofe de fesafFedions, pour s'at- tacher à cette confideration ; mais neantm.oins fa principale vifée eft tel=- lement fur la vertu , que quand il n'cfi naiftroit aucune telle volupté , il ne laifferoit pas de faire les adions qui font honncftes en elles mefmes. En efleft , quand Archimede vacquoit auec cette forte application d'efprit dont les hiftoires nous parlent , à recherche de la vérité en certaines

138 LA Morale

propofitions géométriques , il en at* tendoit fans doute beaucoup de con* tentement : & quand il y a reuffi , on dit qu'il en a fenti des émotions de des cpanouifTemês incomparables de ioye. Et toutesfois vous luy cufGcs de- mandé pourquoy il en eftoit raui , il vous cull dit que c*cftoit parce qu'il auoit découuert d'excellentes vérités; ce qui monftre que c'eftoit la poiTef- fion de la vérité qu'il cherchoit, & de l'acquifition de laquelle il fc tenoit heureux , quoy qu'il eft vray que la volupté y eitoit furuenuë. Or ce qu'efl: la connoifTance de la vérité à l'entendement, cela mcfme eft la pof- felTion de la vertu à la volonté &:aux autres afFedions, de forte qu'il en faut faire pareil iugement quand l'exercice de Ces opérations eft fuiui de la fatif- fadion de les auoir faites. Et com- me c'eft la vérité & non la ioye qui eft la perfection de l'intelleft, c'eft la ver- tu, &:nonla ioye pareillement qui eft la perfedion de la volonté ; quoy que comme le contentement qui naift de la connoiffance de la vérité eft vn mo-

Chrestienne I. Part. 139 tif à la rechercher , la fatisfadïon qui nous reuient des actions de la vertu,^ peut ejftre vn motif à les faire. Car dans la Morale aufE bien que dans la Phyfiquc, c'eft vn elïe£b de la Proui- dence de Dieu , &: de la fagelTe de la Nature , que toutes les allions auf- quelles il a efté ou expédient ou necef- faire que nous nous portaffions, ont efté accompagnées de quelque dou- ceur de leur fentiment ; &: plus il y a de neceiîîté dans l'aftion , foit pour la conferuation de Tindiuidu de chacun de nous 3 foit pour Tentretenement &: la propagation de Tefpece , plus le contentement dans lequel la Nature la détrempé, a-t-il efté vif &: fenfible. Non pas afin que nous les fiilîons pro- prement 5 ou au moins certes princi- palement à caufe de la délégation qui s'en produit ; mais à ce que d'elles mefmes elles n'eftoient pas afles effi- caces pour attu'er nos facultés à les exercer , la volupté qui les accom- pagne nous fuft vn attrait à les faire. Ainfi , parce que le manger ^ qui eft yneadion que nous deuons faire poujî

140 LA MoRALEr

nous nourrir, , ne nous attireroit peut eftrepas aflés puifTamment d'elle met me 5 îi nous ne la faifîons que par la confideration de cette fin qui cft propofée à la Raifon, la Nature amis des qualités fauoureufes dans les ali* mens , qui par la proportion qu'elles ont aucc le fens de noftre gouftjle de* ledent Zc la chatouillent. Et parce que non feulement la génération n'at- trairoit pas ailés d'elle mefme , mais qu*clle donneroit peut eflre quelque auerfion de foy , fi elle eftoit indiffé- rente au fentiment , la Nature a voulu que les hommes y fuffent alléchés par la volupté ^ qui ne doit pourtant pas eflre Tvnique ny mefmes la prin- cipale fin qu'ils Cz propofent en cet- te action , au moins s'ils font affés ver- tueux , & parfaitement raifonnables. Dautant que les beftes n'ont point de raifon , & qu'ainfi elles ne font pas capables de connoiftre les propres &: véritables fins aufquelles la Nature a defviné ces adions , elles n'y font in- duittes que par le chatoiiillement des fcns^ dont la Prouidence de Dieu^ qui

Chrestienne. I. Part. 141 cft la Raifon externe & vniuerfelle qui domine dans la Nature, fe fert, afin de reuflir dans le deflein qu elle fe pro- pofe, qui eft la propagation des efpe- ces5&: la conferuation des indiuidus. Mais quant aux hommes à qui cette Prouidence a donné vne raifon qui leur eft interne , & qni les rend capa^ blés de la connoiffance de leurs pro- pres fins 5 s'il leur eft permis , entant qu'ils font fenfuels comme les autres animaux, de s'y lailfer en quelque fa- çon attirer parles appas de la volupté, la caufe prédominante pourtant qui les y doit inciter, eft celle qui leur co- uient entant qu'ils font hommes, le fçay bien la différence qu'il y a entre le contentement que l'efprit reçoit des opérât i os de la vertu ,5^ la volupté qui renient au corps parla deledation de fes fens dans fes fondions animales. Comme il n'y a que la raifon qui puiifc cftre le fiege de la vertu, il n'y a qu'elle non plus qui puifle goûter la latisfa- aion que le fentîment de fes opéra- tions donne. Ainfi cette volupté luy çonuient proprement entanr|qu'il eft

14^ LA Morale

homme , au lieu que celle du corps luy appartient entant qu'il eft animal. Auili n'ay ie fait comparaifon de ces deux différentes fortes d'aûions,fmon pour monftrer que comme dans la Phyfique les a£tions animales ont des fins plus propres &: plus excellentes que n'eft la fruition de la volupté, dans la Morale les actions raifonna- bles y comme font celles de la vertu, ont auffi des fins effentielles , & qui doiuent eftre plus efficaces & plus at- troyantes que n'eft pas le fentimenc du contentement qui s'en produit. Comme de fait, fi la volupté de Tcf- prit eft le fouuerain bien deThomme, ce doit aufiî eftre la principale &: la dernière fin de Ces actions. De forte qu'il ne fera vertueux que pour auoir^ du contentement, & non pas à caufe de rexcellence qui eft naturellement dans la vertu mefme ; & neantmoins s'il y a quelque cliofe de naturelle- ment excellent:, &: qui mérite d'eftre aimé à caufe de luy mefme feulement, il faut que ce foit la vertu, en compa- raifon de laquelle à peine peut on dire

Chrestienne. Ï. PartT Ï4J que les autres biens foyent biens , &: qu'ils ayent rien'de véritablement de- firable en leur nature. Car c'eft en elle que confifte le bien honneUe , & qui s'appelle proprement bon & beau^ au lieu que tous les autres biens font compris fous le nom àiVtile & de dele* Ifable y qui luy font de beaucoup infé- rieurs en dignité. Et quand Platon a dit que qui vcrroit la vertu toute nuë 6f abfolument en fon naturel , elle paroiftroit fi belle de fi admirable , qu elle embraferoit de fon amour tous ceux qui la contempleroyent, il a vou- lu la recommander par la confidera- tion de la beauté qui luy eft intime &: efrentielle5& qui furpaiïe toute louan- ge &: toute recommandation ^ plus que par le contentement qui refulte de fa iouiffance. A quoy il pouuoit adioufter que la naturelle beauté de la vertu, eft la propre reprefentation de la Diuinité entant qu'elle eft famdc, 6c bonne, & parfaite enfesplus belles proprietésjau lieu que la volupté^d'où qu'elle tire fa naiflance , n'exprime l'image du fouuerain eftre finon en-

744 ï- A Morale

tant qu'il fauoure éternellement en foy niefme vn inénarrable contente- ment. Or eft cette première confi- deration plus excellente fans compa- raifon , &c plus cligne de ce glorieux nom de Diuimte qu'on luy donne. Et fi c'eft, comme il le faut croire, de Te- ternellc conteplation des perfedions de fon eftre , que germe ce conten- tement inénarrable dont la Diuinité iouift 5 comaiie c'eft du fentiment de fa vertu &: des avions qu*elle produit^ qu'vn homme de bien tire cette vo- lupté dont nous parlons maintenant; ain fi que la diuinité fe tient heureufe de fe voir fi parfaitement accomplie dans les propriétés de Bonté ^ de lufti- ce.de Samteté^qui plus qu'aucune au- tre de. Ces propriétés , conftituent la merueille de fon efience ; vn homme véritablement vertueux fe doit efti- mer bien heureux de ce qu'il eft tel, &: mettre fa principale félicité dans la poifeifion de la vertu mefme.

Tout ce que la Phiiofophie a ia- mais eu de nobles de de généreux nourriflons ^ a receu cette vérité com- me

Chrestienne. I. Part, j^^ îîic indubitable ; ôc ïieantmoins on îi'eft pas entièrement demeuré d'ac- cord de ce qu'il faut entendre en cette matière par le terme de Vertu* Car chacun fçait la diftetence qui eft entre les habitudes &: leurs ope- rations. Celles confiftent en vne certaine conftitution de nos facul- tés, par laquelle elles font enclines à relie ou telle forte d'aftions ^ &c ca- pables de les faire ^ encore qu'elles n'agiffent pas effediucment. Confi* me quand on a appris a écrire ^ Tlia* bitude en eft dans la main , quoy quç l'on n'efcriue pas. Celles cy confiftent en l'exercice actuel de nos facultés, par lequel elles agiflent conuenablc*» ment à leurs habitudes; comme quand xeellement &c défait la main forme &c lie les earaderes . qui feruent à reprcr fenter les paroles de la bouche éc les penfées du cœur. Il eft bien vray que c'eftlàvne habitude du corps , ou de Tvne de ks parties : mais il en eft tout de mefme pour ce qui eft de celles de i'efprit. Car autre chofe eft la con- ftitution delame qui rend vn homme

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î4^ ï- A Morale

capable de raifonner facilement cxademtnc , &: autre fon adion pat laquelle il raifonne efFeûiaernent fut Vtm matiete qu'on luy propofe. Et autre chofe pareillement eft la confti^ tutiôn de la confcience par laquelle vn homme de bien eft difpofé à agir iûftementior^ quel*occa{îon s'enpre-* fentcra 5 ô^ autre faftion par laquelle il rend à châGun ce qui iuy appartient^ qcîand Toccàfion s*cn eft prefentéev De forte que Ton peut douter fi la principale partie du fouuerain bien éc riiomme , que les fages mettent en la vertu, confifte en la poiTeffion de {&n habitude, ou bien dans l'exercice de fcs aaixî^ns . Car d' vn coft é il fem* ble que ce font les habitudes qui don* îicnt la foniie à Tame , ^, par maiiitrc ti^ dire^ eouleiu* ; tellement que qui pourroit cont-empler à découuen: la ^conftituti'On de lefprit dVn parfaite^ inent homme de bien , feroit raui eu admiration d'y voir l'ordre , la mo-dc*- dation 5 rhai-monie , $c i'agrccmcnt de 4âdifpolîtion de Ces puiffances. Com- ^tie donc la beauté àa corps fe mgt

Chrestiënne. I; Part. 147 par la viuacicé de (on teint , par la iu- ftefTe de Tes lineamens , &: par la fym- nietrie de Ces parties, &C non pas par ïes adions, il femble que rexcellence Se la félicité de Tefprit fe doit eftimer par cette perfedion de fes facultés la- iquelle il poflede en luy mefme. Ad- -îouftés à cela que les aftions font paf- fageres , au lieu qu'il femble que le bonheur doiue eftre quelque chofe ^d'arrefté ^ de permanent ; ce qui Hconùient beaucoup mieux à la na* cure des kabitudes. D'autre collé c'eft vne chofe bien certaine que ny les habitudes, ny mefmes les facultés qu*elles afFea:ent5& qu elles difpofenc à certaines opérations , ne nous oric 4efté données , ou n'ont efté acquifes par nous, que polir les opérations auf- q[uelles elles font deftinées. C'eft pour agir que la nature nous a pourueus de mains, &: c'eft pour écrire que nous apprenos, &: que nous faifons appren- dre a nos enfans à former des lettres, ^ à les compofcr en fyllabes. C'eft pour raifonner fcurement fur tous les ïlijets. qui s'en prefcnteront à nous^

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Î48 LA Morale

que nous apprenons les préceptes que la Logique donne pour cela ; c*eft en fin pour exercer tout de bon les ver- tus de iuftice , de tempérance , &: de libéralité , que nous en faifons faire les eflais à cevix que nous y voulons former, & que nous imprimons dans leurs efprits les préceptes de la Mo- rale. Or comme nous auons vcu cy defl'us que dans les arts qui font de- llinés à la production de quelque ou- urage , Pouurage mefmc eft plus ex* cellent que T^adion qui Ta produit, parce que la fin eft toufîours meilleure que les chofes qui y tendent, auffi eil- il vray de dire que dans la fubordina- tion des facultés ôc des habitudes à leurs opérations , ces opérations font plus excellentes que les habitudes, & mefmes que les facultés , parce que celles font la fin à laquelle celles cy vifent. Ariftote adioufte à cela que vous pouués vous figurer vn hom- me qui ait acquis l'habitude de la ver- tu , &: qui neantmoins dormira toute fa vie. Or nV a-til point d'apparence d*cftimcr heureux vn homme perpe-

Chrestienne. I. Part. 149 cuellemêt endormi; ny par confequent d'établir le fouueraiii bien dans la pofTeiTîon des feules habitudes de la vertu 5 fans auoir égard aux aûions qu'elles produifent. Il eft impoffible, de conceuoir qu'vn homme véritable- ment vertueux dorme toufiours, li ce n'eft par maladie : &: eft malaifé de s'imaginer que dans vne fi longue lé- thargie les habitudes de la vertu fe conferuent en leur entier. Mais Ari- ftote a voulu dire feulement , que fi par cette abftradion qui fe fait par le moyen de Tentendement ^ vous fe- parés les adions de la vertu d'auec les habitudes qui y enclinent , vous vous formerés l'idée d'vn homme qui ou bien fera vertueux fans eftre heureux, ce qui monftreraque le bonheur n'eft pas dans les habitudes de la vertu^ ou bien fera heureux fans produire au- cune adion de vertu, comme s'il eftoit toujours endormi ; ce qui eft tout à fait déraifonnable. Mais cette que- ftion n'eft pas de difficile refolution. Car il eft certain que les adions ver- tueufes n*ont pas toute la plénitude

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lyo LA MôïlALÊ

de leur perfeftiôn ny do leur beauté,"' elles ne font produites par des lia-* bitudes e:5^cellentes ^ ôc qui donnent vne fcniuerainement belle conftitu- tion aux facultés. Et d*autre part il eft pareillement certain que les habi- tvides eftant deftinées pour la produ- âion des àftions, elles ne les pro- duifent pas , elles dôiuent cilre efti- lîiées comme nulles. Tellement que le concours de ces deux chofes eft abfolument necefl'aire pour faire vn homme véritablement vertueux , &: par confequent pour le rendre heu-^ reuXjà l'égard de cette partie de la fé- licité qui confifte en la vertu, & qui eft la principale. Que s*il eft queftion de décider à laquelle de ces deux cho- fes appartient pluftoft la gloire de fai- re le bonheur de l'homme, il femble qu'il n'y ait point à douter que cette louange ne regarde les adions, pour- ueu quelles foyent accompagnées de deux conditions abfolumcnt necefTai- res. LVne eft, qu'elles ayent toute la perfedion qui leur conuient , & (|ue par confequent elles proçcdcnç

Chrestienne" I. Part^ îJI non feulement d'habitudes bonnes en elles mefmes, &: profondement enra^ cinées , mais encore de facultés qui ayent atteint toute la force que la nature leur peut donner. Car les enfans ne peuuent pas eftre dits heu- ïeux, fi ce n'cft par cfperance qu'ils le feront quelque iour , d'autant que les facultés de leurs âmes n'eftanc point encore débrouillées de Timper* redion des organes , ne fe peuuenc pas déployer en de belles adions. Et à peine les ieunes gens peuuenc ils eftre dits heureux non plus : parce que quand bien leurs facultés au" royenc acquis en Tadolcfcence , dc dans les afinées de la ieunefle , tous les degrés de vigueur que la nature leur peut donner , fi eil ce que les paflîons font ordinairement fi violen- tes en cet aage , & au contraire les habitudes de la vertu y font encore fi imparfaites , parce qu'ils n'ont pas eu le loifir de les perfectionner , que les puifTances de leurs efprits ne pro- duifent ordinairement en matière de vertu finon des opérations languiiTan-

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îyt lA Morale

tes. L'autre eft, qu'elles foyent con* tinuées vn log-temps, ôc dans vue du- rée confiderable de vie. Parce que comme vue hirondelle ne fait pas le printemps , vne feule adion ne peut pas faire que Ton die à bonnes en- feignes^^qu'vn homme eft heureux ou vertueux $ outre que chaque a£lion citant pafTagere à la confiderer à part, ekttc partie du bonheur qui confifte en la vertu, ne peut eftre fiable &: per- manente en cet égard, fi les belles &: honneftes adions ne s'entrefuiucnt de fi prés, & ne durent fi long-temps, qu'il n*y paroifl'e aucune confiderable interruption dans le cours d'vne belle vie.

Mais ie m'arrefte trop long-temps fur ce fujct ^ pour ce qui eft de mon deflfein. Car la mefme reuelation qui nous a donné la connoifiance de noftre création , nous a auifi décou-^ iiert en quoy gifoit noftre félicité, il nous fuflions demeurés en Tinte grité de noftre origine. Le premier hom- me ne fe pouuoit propofer la richefle pour fouuerain bien : parce que cette

Chrestienne. I. Part, ijj richefle dans laquelle quelques vns le coUoquent maintenant , n auoit alors aucun vfage. La terre fournifToit a- bondamment tout ce qui luy eftoic ncceflaire pour la vie ; & quant à ce quieft conuenable pourvue raifonna- ble volupté, il auoit dans l'excellence de fes fruits dequoy contenter en cet égard vne lionnefte auidité de fes ap- pétits. Il ne pouuoit non plus le met- tre dans ce qu on nomme du nom d'honneur , comme nous Tauons cy- deffus confideré : parce que s'il pft en l'eftimedc la vertu , il euft efte afles long^temps qu'il n'euft eu autre té- moin de fa vertu que fa femme ; Se cependant il n'euft pas laiifé d'eftre heureux -, d^ s'il coniîfte en la recon- noiffancc de Tauantage qu'on peut auoir en quelque dignité , n'y ay^nt point d'autre fuperiorité entre les hommes finon celle de la relation que les pères ont aux enfans , ny point d'autre inégalité qu'en ce qui eftoit de Taage &: de ce qui fuit l'aage ne- celTairement , il ne rcftoît point de porte Quuerte à l'ambition de ces hon«^

ïî4 l'A Morale

neurs dont la paffion trauaille main- tenant les hommes. Enfin ^ pour ce qui eft de la volupté du corps ^ Dieu auoit mis les puiflanccs de fon ame dans vnc trop haute aflîette de con- noiflfance &: de vertu, pour coUoqucr fon bonheur en raflouuilfement des appétits de la partie la moins no- ble & la moins cfTentielle de fon eftrc. Et pour ce qui eft des contentemens de Tefprit , il auoit tous les moyens imaginables de les goufter purs Se fin- ceres , dans la cotemplation des beaux obicts, & dans la pratique des vertus aufquellcs fa condition l*éleuoit j mais fon efprit eftoit trop éclairé de la lu- mière de la Raifo^pour ne recônoiftrc pas'nettemet qu'encore que de la pot feilîon & de la pratique de ces chofes pullule neceffairement vne incompa- rable volupté , fi font elles trop belles en elles mefmes pour eftre rapportées à autre fin, &:pour eftre aimées à autre oceafion que pour leur propre exçeU lencc naturelle.

Chrestienne. I, Part. lyy

CONSIVSKATION TLVS

prccife du fouuemin bien de ^ l'homme en fan intégrités

COmme la fage preuôyance da Créateur auoit deftiné riiôme à la participation de deux eftresîl'vn fur- naturel & celefl:e5qui depuis a eftc mis dans vne pleine euidence par la ma- nifeftation du Rédempteur j l'autre naturels terrien , dont fa première création Tauoit rnisen ioiiiffance; au(H fon fouucrain bien peut eftre confi- deré en ces deux diuers égards,&: félon la diuerfe connoiffance que Dieu luy en auoit donnée. Pour le premier, s'il a eu quelque intelligence de cet eftre furnaturel^c'cft chofe dont Thi- ftoire de fa création ne nous parle point : &: fi cela eft , il faut que ç'aic efté par quelque reuelation qui ait paf- fe la mefure des connoiflances que l'eftat de la nature luy fourniflbitj

ly^ LA Morale

parce que ny les deux y ny la terrc^ ny la confideration dcfoy mefme, neluy en prefcntoit aucuns clairs Se difl:inâ:s cnfeigncmens. Or eft-ce de la con- noiffance qu'on a de fon but , &: de fon fouuerain bien , que dépend le chois &: l'vfage des moyens par lef- quels on y afpire. Puis donc que nous ne traittons pas icy de cet eilre furna- turel, ny de la conoiffance que Thom- me tn pouuoit auoir par des voyes qui font ^u delà des lumières de la Nature, ce n'eft pas à nous maintenant de dé- terminer quel il eftjUy de prononcera l'homme y a rapporté fes defirs , ôc. deftiné fcs allions & les opérations de fon ame. Quant à l'autre , il n'en pouuoit pas auoir vne plus claire re- iielacion que celle qui confîftoit en Texpcrience de la cliofe mefme. La Nature l'ayant conftitué d'ame &: de corps 3 il fe trouuoit alors par la Pro- uidence de Dieu en eflat d'eftre par- faitement heureux yj>e quant à Tame Se quant au corps ^ s'il euft bien vie de Ces facultés , & s'il fe fuit bien feruî de (f:s auantages. Ce qui paroiftra

Chrestienn£ I. Part.' lyy parla confideration des biens qui fonc^ véritablement tels , & dont il auoit' la iouifTance.

Ceux qui ont diftinguc les biens de rhomme en trois clafTcs , appellant les vns extérieurs, les autres biens de fon corps, &: les autres biens de fon cfprit, ont compris en cela généralement tous les obiets entre lefquels &: nos appétits il V a quelque proportion eftablic par la Nature. Car vous ne faunes vous figurer chofe quelconque que Tliom- me puifTe defirer , qui ne fe rapporte à Tvne de ces trois chofes : c'eft , qu'où bien il fouhaitte quelque perfedion aux facultés de fon efprit ; ou qu'il de- mande quelque auantage pour la per- fedion des puiffances de fon corps ; ou bien en fin qu'il defireiouïr derichef- fes, d'honneur , d^amis , de paix auec fes concitoyens, de profperité en fa. famille , & de telles autres chofes fem- blables. Car il eft bien vray que la poiTeffion de toutes ces chofes donne quelque fatisfadion à fon efprit , &: quelques commodités à fon corps : mais fi cft-ce que les obiçts mefmcs fôç

t^i LA MôRÀLÉ

hors dcluy , & qu'ils n'ont leur fiegé ny dans les membres du corps , ny dans les puiflances de Tame. Pour donc conmmencer à confidcrer brie^ uement tous ces biens pal: les exter- nes , ie penfe qu'on en peut dire deux cliofes bien affirmariuement fans petit de fe troper. LVneeft qu'ils font par- tic du fouuerain bien de Thomme cri l'eftât de l'intégrité la Nature, que nous confiderons maintenant : L'au- tre eft 5 que non feulement ils n'en font pas le total , mais mefmes qu'ils n'en font pas la plus confiderable par- tie. Et il ne faut pas beaucoup rai- -fonner pour prouucr bien euidemmêt la première de ces chofes. Parce qu'en l'intégrité de la nature l'homme euft indubitablement defiré tous ces biens là. En quoy ie ne contredis point à ce que i'ay pofe cy delTus , quand i'ay xiit que ny la richefle ny riionneur ne pouuoit eftre îe fuiet des defîrs du premier homme. Car parles licheflrcsien'entens pas icy Tabondan- cc de l'or &: de l'argent monnoyé ou ajion monnoyé , la quantité de tapiffc*

CHREÎSTtENNE I. Part. If^

rîcs & de meubles précieux, le nombre êc le reuenu des maifons, la multitude de beftail, & généralement toutes ces chofes qui font à cette heure dans le commerce dumonde. Elles n'auoycnc aucun vfage au commencement , ôc c eft la neceffité ou le luxe , lefquels font entrés au monde auec fa corrup- tion 5 qui leur ont donné le prix qu'el- les ont entre les hommes. Par la ri- chefle i'entens ce qui peut fournir aux neceflîtés de la nature , ce qui peut raifonnablement fatisfaire à fcs appé- tits par des voluptés bien réglées ^ &: ce qui peut liiy donner vne bonne ÔC commode habitation. Car Thomme n'ayant alors ny toutes les neceifités dont il eft prefle maintenant , ny le lu- xe &: la vanité dont fon efprit s'eft ga- fté parle peché^il fe pouuoit trcf-bien fKiffcr de tout cet attirail qu'à cette iieure on appelle biens, qui fortfou- iient embarra>fïè plus la condition de lliomme qu'il ne Taccommode. Par l'honneur ie n entens pas ny ces char- ges ou ces -dignités politiques , qui donnent de l'autorité , ny cet éclat de

t(^ô la' MôRAti

gloire & de réputation qui naifl: cîé5 grandes &C mémorables adions d'vriè vertu fort emiilente au deiTus du com- mun, ny cette déférence & cette fou- tniflîon que le5 inférieurs foit en vertu foit en dignité , rendent à ceux qui y lexcellent. Tay defià dit que dans Pin- tegrité de la Nature il n'y euft point eu d'autre différence de rang , ny d'au- tre fuperiorité , que celle que les petes euifent eue fur leurs enfans;& quant à la mefure de la vertu, puis qu'elle de- xioit eftre accomplie en tous , il eftoit impoifible qu'il y euft en cet égard au- cune autre inégalité que celle que la difparite de l'aagc euft cauféc. Gar les hommes croiffarit en aage cuffent aulTi creu en vertu , à mefure que leurs facultés euifent acquis la plénitude des forces qui font neceflaires pour la. perfeûion de leurs opérations , &: que îeur éducation , ôc la fréquente répé- tition de mefmes adions ^ leur en euft confirmé les habitudes en Tamej iut ques à ce qu'en fin eftant paruenus au plus haut point de leur vigueur par le temps 5 ou il n'y euft plus d'inégalité

du

Chrestiènne. I. Part, i^r an tout entr'eux .^ ou s'il y en euft eu quelque peu , elle n'cuft pas eltére- connoiiTable. Tappelle honneur le refpeft des enfans enuers leurs pères, èc la iufte &: fauorable eftime que les hommes enflent eu pour la vertu les vns des autres , auec ^approbation qu^ils s*en fuflent donnée refpediue- ment , fans en rien diminuer par l'en- uie y fans y rien adioufter par la flatte- ïie 3 &: fans la corrompre ou la défigu- rer par quelque autre paflîon. Et quand ie dis que les hommes en leur intégrité enflent defiré cet honneur auec les autres biens externes , ie veux dire quec'efl:oitvn bien que la Natu- re auoit deft:iné à la fatisfaftion de leurs appétits , pour en auoirdcla de- iedation en en iouïflant , de du defir s*ils n'en enflent pas iouï , ôc du regrec s'ils fuflent venus à en perdre k pof- feflion. Car ces trois afteûions fui- uent neceflairemêt la nature du bien; ^u*il donne de la volupté prefent j qu*il excite , s'il efl: connu , du defir quand on ne l'a pas j &: qu'il caufe de la douleur. quand il arriue qu'on

L

16% LA Morale;

eft priué de fa iouiflance. N'eftaïit donc pas poflîble de fe j&gurer l'hom- me en l'intégrité de fa nature & de fcs appétits 5 qu'on ne le conçoiue tou- ché de quelcune de ces afte£tions à l'égard de cette nature de biens, il eft clair que laiouïflance de ces biens eft vn des obiets de Ces appétits naturels, ^ par confequent vne des parties de fa béatitude.

Il faut faire mefme iugement de la pofleiTion des amis , & de celle des enfans , que Von peut auflî conter en- tre les biens externes. Car il eft bien certain que pour ce qui eft des amis, il y euft eu de la différence entre ceux que nous auons maintenant, èc ceux que nous euifions eus , fi nous ne fuf- fions point decheus de noftre origine. En Teftat prefent des chofes humai- nes 5 la feule vtihté conciHe la plus grande partie des amitiés : &: il y en a beaucoup d'autres qui n'ont point ^'autre fondement que la communi- cation & le commerce de mefmes vo- luptés. Et comme ces amitiés ne font pas propres à conftiaier la vrayc

ChrestiennI/ Ï. Part^ I<?J & parfaite felicité^auffi n'eufTent elles point eu de lieu en l'intégrité de la nature. Quant à celles qui nailTent de la feule confîderation de la vertu, elles ont à cette heure trois condi- tions qu'elles n'eufTent pas peu auoir alors. L'vnc^qu'elles font plus rares, a caufe de la rareté des obiets ; parce qu'il y a peu d'iionies véritablement Vertueux ; au lieu qu'en Mntegrité de la nature il n'y en euft point eu d'au- tres. L'autre , que , pour ainfî parler, i'antiperiftafe du vice dont deux amis véritablement vertueux font enuiron- ïiés de tous collés, fait qu'ils s'en con- ioignent plus étroittement , & qu'ils en ont ie ne fçay comment vn plus vif &: plus agréable fentiment de leur amitié réciproque. Car ils ne peu- uent confiderer dans les autres hom-* mes alentour d'eux,lc vice qui y règne de toutes parts, que venant puis apre^ à faire reflexion chacun fur foy mef- me & fur fon amy , ils ne foyent rauis de ioye de s'eftre mutuellement ren^ conttés tels qu'il Ce voycnt , & qu'eu cette exultatiojj de leurs efprits leurs

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1^4 ^^ Morale

afFeftlons ne fe redoublent &C ne s'cft^ flamment dauantage. Au lieu que tout le monde eftoit vertueux, le fen- timcnt de l'amitié n'auroit pas ces tranfports de ces vehemëtes émotions, mais feroit plus égal &: plus vniforme. La troiflefinc eft, que la conformité des humeurs Qc des temperamens, des occupations &: des inclinations à cer- taines chofes pluftoft qu à d'autres, ayde beaucoup maintenant à la con- ciliation &: à la fermeté des amitiés véritables , de qui ont leur fondement en la vertu. Or cette conformité ne fe peut à cette heure trouuet qu'entre peu de gens 5&: encore faut- il que ce foit comme par le bonheur de la rencontre. Parce que la cor-- l'uption qui eft furuenuë au monde, a apporté vne merueilleufe variété dans les temperamens j de les temperamens dans les inclinations , d'où vient la diuerfité des occupations , quand elle nauroit point d'autre caufe dans les neceflités de la vie. Au lieu qu'en Tintegritéde la nature toutes ces cho^ fcs deuoyenc eftre abfolument lem-

ChkestienneT I. PartT i^y blables en tous , ou s'il y dcuoitauoir quelque diuerfîté , elle deuoit cftre memeilleufement légère &: de peu de confequence. Il n'euft pourtant pas laiffé d'y auoir des amitiés : non pas feulement entre-les maris & leurs fem- mes 5 & les pères &: leurs enfans ; qui font des focietés & des liaifons natu- relles , bien différentes de celles donc nous parlons ; mais encore d'homme à homme , & de femme à femme en particulier , que la plus commune 3c plus ordinaire fréquentation euft pro- duites. Car en cette vafte eftenduë du genre humain tous les hommes . n'êuffent pas peu auoir vne mefme ha- bitation : de forte que le voifinage &: la fréquentation euft efté l'attrait &:le ciment de quelque correfpondance auec les vns , qui n'euft pas peu s'en- gendrer ny s'entretenir auec les autres. Et cette correfpondance particulière eft fans doute vn bien de la nature de ceux qui contribuent à la félicité , mefmes à en iuger par les fentimens de la nature non encore corrompue. Sur tout fait vne partie bien con-

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té6 La Morale

iîderable de la béatitude de Thommej!' la pofleffion de Ces enfans ^ quand d'ailleurs ils font doiiés de qualités re- commandables : au lieu que l'orbite, quand on en a iamais eu , ou la priua- tion 5 quand après en auoir eu on les a perdus,altere la félicité de telle façon, qu'Ariftote a eu fort bonne raifon quand il ardit,qu'on n'appellera iamais heureux vn homme qui tombe dans les calamités de Priam, à qui la guerre rauit tant d'enfans, auecla gloire d'ya grand royaume,

le fçay bien que les Stoïques parv- ient icy fort auantagcufement de la vertu de leur Sage , & qu'ils difent qu'il cft tellement au deflus de toutes CCS çhofes,que comme leur pofleffion ne le touche point de volupté , auffi la priuation ne luy éri caufe point de douleur, &: n'eft pas capable d'ébran- ler la tranquillité de fon ame. Mais ie parle icy de l'intégrité de la nature, à qui Dieu a donné ces fentimens de plaifîr ou de douleur en telles rencon- tres , &: non de fa corruption qui les îuy a oftés, fi au moins il y peut auok

Chrestienne. I. Part. i6j vne grande corruption que tout à fait elle les luy arrache. Car c'eft bien certes vn effed de la corruption de l'entendement humain , qu'il ait efté capable de conceuoir &: de défen- dre cette opinion^ qu'vn homme pour eftre Sage, fe doiue réduire à Pmfen- fibilité 5 pour n edre non plus qu'vn rocher,touché des paflîons & des affe- ftions de la nature. Mais quelques pompeux qu'ayent efté les propos des Stoïques en cet égard , &: à quelque éleuation d*efprit qu'ils ayent peu le porter, ou on veut que ie parle plus proprement de quelque orgueil qu'ils ayent tafché de fe gonfler, iene penfe pas qu'il fe foit iamais trouué Sage entre eux , s'il n'a efté fol tout à fait, qui ait acquis cette impaflîbilité donc leur difcipline fe vante. Qui veut voir vne image de ce que peut , &: de ce que doit la Nature en fon entier, lors qu'elle fe rencontre en de telles occurrences , il la faut confiderer en la perfonne du Sauueur du monde. Car comme d'vn cofté _, quoy qu'il fuft Dieu bénit eternellemêt, fieftoit-

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1^8 LA Morale

il homme pourtant ; auflî , bien qu'il fuft homme femblable à nous en tou* tes chofes, fi eft-ce que c'eftoit la cor- ruption du péché mife à part, de forte que de la communion qu'il auoit aucc k refte du genre humain, il n'en auoic pas tiré la moindre veine. En cet eftat, ayant refolu de refliifciter La- zare 5 qu'il tenoit entre fes amis par* ticuliers , Se fçachant tres-certainc- ment que l'effed fuiuroit cette refo- lution^il nelailTa pourtant pas quan4 il fut fur le bord de fon tombeau , qu'il fereprefenta ce perfonnage fous cette lamentable idée d'vn corps de^ ftitué de vie & de fentiment , d'en auoir lûmagination faifie , ôc les en- trailles émeuës iufques à tel point , qu'il en témoigna le trouble de fon efprit par fes larmes. Si auoit-il au- tant de magnanimité pour le moins, ôe eftoit éleué auiTi haut au dcfl'us de toute telle forte d'accidens , que le prétendu Sage des Stoïques. Et fi cela luy eft arriué , quelle penfons nous qu'eu il; efté la conftitution de refprit d'Adaraj fi nous ùpus figurons

Chrestienne. I. Part. 1^9 qu'ayant quant à luy perfifté en foa intégrité , & engendré des enfansen cet eftat, leur péché &: la Prouidencc du Créateur euft voulu que 1^ morç luy en oftaft la iouïfTançe?

Mais encore qu'il foit vray que ces chofcs font vne partie de la félicité de rhomme , tant s'en faut ncantmoinsi qu elles en façent le total , que mcfn nies ce n'eft pas en elles que la princi- pale partie en confifte. Il refte les bien^ de Tefprit , qui, comme nous verrons çantoft, font les plus excellens de cous, &:les biens du corps pareillement, qui encore qu'ils ne foyent pas fi excel-> iens que ceux de l'efprit, font plus ne^ cefTaires à l'homme, &: beaucoup plua intimes à fa nature, que ne pcuuenc eftreles externes. le ne fçay fi ie dois conter la beauté entre ces biejis que Ton appelle , du corps. Car d'vu çofté ileft bien certain qui! y a queU que chofedans la iufte conformation, ôc dans la parfaite fymmetrie de fes parties , qui iointe auec vne reguher^ difpofition des lineamens du vifage, &c quelque chofe de vif, de lumineux.

170 'LA Morale

& de floriflant dans le teint , donné non de ragréemcnt feulement , mais mefmes de la maiefté en ceux en qui elle fe rencontre. Et de l'autre il y a certaines difformités^qui bien qu elles n'oftent rien ny de la vigueur des membres , ny de Tvfage de la fanté, difgracient neantmoins vn homme de telle façon , que quand il feroit heu- reux d^ailleurs, ce feroit pourtant vnc âfles notable tare à fa béatitude. Cette beauté donc eft vn bien qui mérite qu'on en fafle cas , &c cette laideur, vn mal , contre lequel il eft certain qu'il y a quelque auerfion dans les mouuemens de la Nature. Neant- moins, a parler generalemêt^la beauté n'eft ny fi déterminée en elle mefme, ny fi neceifaire à la félicité de l'hom- me 5 qu eft la fanté &c la vigueur des membres du corps. Elle n'eft pas , di-je5fi déterminée en elle mefme. Car encore que tout le monde eftime la beauté , fi eft ce que lors qu il eft queftionde la définir precifément, les iugemens non des perfonnes particu- Ueres feulement , mais des nations

Chrestienne. I. Part. 171 coûtes entières y varient. Ce qui monftre qu*il y a quelques chofes dans la beauté , dont Fidée n'a point de caraderes ou fi certains ou fi eux- dens, qu'ils obligent necefl"airement toute forte d'intellefts à en faire vn mefme iugement , nonobftant tous preiugés &: toutes couftumes foit des perfonnes particulières , foit des peu- ples. Au lieu que quant à la fanté &: à la vigueur des membres , tout le monde les conçoit d'vne mefme fa- çon 5 & ne s*y peut faire par qui que ' ce foit aucun iugement fi extraua- gant ny fi erroné , que le fentiment deladouleur , ou de la lefion des par- ties du corps, ôc de leurs opérations, ne corrige. Elle n'eft pas aufïï fi ne- cefiaire à la félicité. Car il n'y a per- fonne qui ne m'aduouë qu'vn hom- me raifonnable fouffrira plus aifement quelque difformité au vifage , qui l'empefche d'eftre appelle beau , que la pierre dans les reins qui l'empefche d'eftre fain, & qu'il fe paffera beau- coup pluftoft delà grâce qui vient de h proportion des lineamens & de Ja

17^ tA Morale.

gayc fleur d' vn beau teint, que non pas de la bonne difpofition de tout fon corps,&: de la faculté de faire bien a- laigrementles fondions delà vie. De plus, fi la principale partie de la béa- titude de riio^ame confiftc dans les actions de la vertu, ainfi que nous ver- rons tantoft, qui peut douter que la vigueur corporelle ne foit plus vtile à de telles opérations, que la taille, ou laiuftefle des lineamens > La vertufans doute en a dauantage d'agréemenc quand elle eft dans vn beau fuiet. Mais la beauté fans les adions de la vertu, n'eft rien ; & les aftions de la vertu, aufqucUes la vigueur du corps eft ne- ceiTaire , comme elle eft affés fouuent à celles de la vaillance , eft confidera^ ble fans la beauté ; &: fi la vertu eft en quelque degré éminent , elle fe paftc fort biendelarecomandation de tou- te autre chofe. l 'eftime donc la fanté vne partie effenticUc 6c neceffaire à la béatitude , &: m'eftonne de l'opi- nion de ceux qui ont creu que le Sage dans le taureau de Phalaris,ou dans ies ctraintes des cheualets ôc des gefne^^

ChrestieUîTî? i. Part^ 175 {c trouueroit auffi heureux de àuffi content , que s'il auoit toutes chofes à fouhait. C'cft vnc notion fi com- mune , que la félicité produit le con- tentement , & que le contentement ne peut venir finon de la félicité , qu'- cftre heureux, & eftre content pàuenc pour vnc mcfme chofc. De forte quVn homme content , s'il eft fage, cft indubitablement heureux 5 Se s'il cft heureux , il eft indubitablement content , parce qii'auffi fans doute il cft fage. Et les fols mefmes n'oftC point le contentement imaginaire qu'ils pofTedcnr, finon parce qu'ils ont aufli vne imaginaire félicité. Si donc le Sage des Stoïqucs dans le taureau de Phalaris eft heureux , il eft content. Or eft-il qu'eftre content , eft auoir fes appétits remplis : car ce qui rend le contentement defedueux , eft quandt il y a dans les appétits quelque chofe de béant , qui par fa vacuiré donne de Tinquietude à l'ame. Cet heureux fage donc eft contêt dans la fouffran- ce des plus horribles tourmens, & y a- tous £cs appetics^ rempli^', de-fort^ qu'it

Î74 î^A Morale

ne luy manque rien de ce qu'il petit defîrer raifonnablement , & félon les mouuemens de la Nature. Eft il donc croyable qu'il ne defiraft pas d'eftre tiré du milieu des fiâmes ? Et s'il s'en rencontroit quelcun (i infenfîble à la douleur , que de ne defirer pas d'en cftre delmré , ne faudroit-il pas qu'il fuft quelque chofe de plus ou quelque chofe de moins qu'homme ? La ma^ gnifîcencc des propos de ces genà aboutit , que la feule pofTeflîon de la vertu fait les hommes affés heureu^tj &: que les calamités , pour fi grandes qu'elles foyent ^ ne doiuent pas obli- ger vn homme véritablement ver- tueux , ie ne diray pas à faire banque^ route à la vertu , mais à faire ou à dire chofe^ quelconque indigne d'elle* Certainement vn homme parfaitemêc vertueux mérite biê qu'onl'eftime heu- reux , fi ce n'eft abfolument & de tout point , au moins en ce qui eft de la principale partie &: du bonheur &: de fon eftre propre. Car autant que Tamc eft plus excellente que le corps, autant eft le bien de lame plus excellent que

ChréstienneT I. Part? 175: celuy du corps , & fi le bonhçur cft compofé de la iouïfTance de ces deux biens , comme il n'en faut pas douter , celuy qui regarde l'efprit compofera fans aucune difficulté à pareille pro- portion , la meilleure & plus excellen- te partie de fa béatitude. C'eft auflî chofe qui ne fouiïre point de conte- ftation 5 que quelque accident qui puifle arriuer à vn homme vrayemenc vertueux , il ne doit rien dire ny rien faire qui (bit indigne de ce nom^ non pas mefmes quand il feroit expofé à la fouffrance des douleurs les plus atro- ces. Et de cette fermeté inébranla- ble dans l'affiete de la vertu , nous auons vn mcrueilleufement bel exem- ple en noftre Seigneur lefufus Chrift, à la fainteté duquel le plus horrible fupplice qui fut iamais n'a fceu donner aucune atteinte. Mais ie voudrois bien que ceux qui foûtiennent Topi- nion que ie combats , confîderaflenc icy deux chofes. L'vne , qu'il eft merueilleufcment difficile de mainte- nir cette parfaite vertu dans la fouf- france des grands tourmens, s'ils font

\y6 LA Morale

cjuelque durée. EnnoftreScigneui' léfus il y auoit vn principe inuincibld èâ Ytït fource inepuifable de fainteté et vertu 3 qui le tire infiniment loin hoi's du pair dés autres hommes. Sort humanité eftôit foullenuë par fa diui- ftité y de forte qu*il n'y auoit ny dou* leur , ny infamie , ny horreur mefme du iugément de Dieu^à quoy il s'eftoit àffujetti , qui fuft capable de mettre fôn efprit hors de la conftitution qui luy eftôit conuenable. Mais quanti Vhônimé Amplement homme , il n'eft pas également certain fi dans Teftat de la nature il peut acquérir vne telle trempe de bonté^qu'il foit abfolumcnc inuulncrable 6c impénétrable à de tel- les playes. Et s*il n'a peu fupporter l'effort d'vne tentation qui ne confi-» Itoit qu en de fimples fuafions , & qui tendoit à corrompre fon entende- ment &: fon appétit fenfitif par la pro- pofition d'vne légère volupté , il y a grand fuiet de douter s'il euft peu te- nir coup lors qu'il euft efté tenté par le fentiment de ces douleurs^qui parleur <fcH:ée&: par leur atrocité font de l'hor- reur

Chrestiçnne I. Part. 177 reuï à la nature. L'autre chofe eft, qu'il y à de la différence entre fe main- tenir en eftat de ne rien dire & de ne rien faire contre la vertu , ôc faire les fondions Se les opérations de la vertu mefme. L'vn confifte en rabftinence du mal : l'autre en l'exercice du bien : en f vit eft négation d*vne mauuaife aÀion ; en l'autre eft la produdion d'vne bonne. Pofé donc le cas que le Sage peuft fubfiftef fans faire du xnal) au milieu des plus cpouuantables tourmenSj il ne s'enfuit pas qu'en cet eftat il peuft exercer toutes les opé- rations qui conuiennent à la vertu &c à lafageffe. Car les douleurs empef- chent les adions du corps , qui font quelques fois neceflaires à Tvfage de la vertu, &: outre cela^ quoy qu'on y fafle 5 elles embaraffent les fondions de l'efprit , cV leur oftêt cette alegrefte &c cette liberté laquelle eft neceflaire aux belles ô^ hautes refolutions de l'a- me. Or pour eftre parfaitement heu- reux , il faut eftre en eftat d'agiir tant des facultés de fon corps ^ que dcspuiflances de fon efprit, auectou^

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tyî LA Morale

te la vigueur qui leur conuîentcii l'eftat de la nature. le conclus donc encore , que la fan &: vigueur du corps font partie de la parfaite félici- té 5 mais i'y adioufte quand &c quand que ce n'eft pas la principale.

En efFednous cherchons la fehcité qui conuient à l'homme entant qu'il eft homme , c'eft à dire entant qu'il eft animal raifonnable. Comme donc en Teftat de la nature la condition d'animal eft infeparable d'auecluy5&: fait vne partie de fon efl'ence , le bien qui concerne cette condition doit aufTi neceffairement entrer dans la compofition de fon bonheur. C eft à dire qu'il doit auoir tous les fens &: toutes les facultés de fon corps dans vne difpofition excellente. Mais com- me en cet eftat de la nature la condi- tion de raifonnable eft ce qui luy don- ne proprement l'eftre d'homme , la principale partie de fon bonheur doit confifter dans la parfaite conftitution de fa raifon , Se dans les belles opéra- tions des facultés qui dépendent de fa conduite. Avant donc diftinc^ué^

Chrestienne. I. Part. 179 comme nous auoiis fait ^ le^ facultés de fon ame en deux genres , dont Tvii comprend celles qui font raifonnables d'elles mefmes , &: l'autre celles qui bien que la taifon n'y refîde pas com- me en fon fiege , font pourtant capa- bles de luy obéir , l 'homme ne peut cftre dit heureux de i^cs facultés rai* fonnables il n'agit auiïî vigoureufe- ment , &: auffi raifonnablcment tout cnfemble^qu'il conuient à vn principe fi excellent, &: fi les facultés inférieu- res , Mrafcible , di-je, &: la Concupif cible, auec tous les appétits ô<: toutes les pallions qu'elles contiennent , n'o- bei/Tent parfaitement au gouucrne- ment de la Raifon. Tellement que foi t qu'il ait befoin de s'exciter , ou bien de fe retenir, de modérer fes mouuc- mens , de fe retirer de deflus certains obiets , de fe porter fur certains au- tres , de garder toutes les rcigles , ôc d'obfcruer tous les momens que re- quièrent les occafions &: leurs diuer- fes circonft:ances,afinde produire des adtions qui ayent Tertre & la qualité d'vne parfaite vertu^ l'homme ne pcuc

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îîo tA Morale

eftrc dit heureux s'il n'eft excellertl» ment bien conftitué pour cela , ôc fi toutes fes puiflances ne s'y déployenc auec vne fouueraine vigueur , & vne alegrefle toute entière. Car quoy ? Si le défaut des biens externes , &: la mauuaife coftitution des membres èc des facultés du corps , font vn no- table manquement à la félicité, com- me nous Tauons défia monftré , que deuons nous uis;er de la mauuaife con- ftitution de refprit> &: des aûions ou peruerfes ou defeûueufes qu'elle pro- duit, finon qu*elles font abfolumenc incompatibles auec la béatitude de Thomme ? Certainement quand Pamc èft bien difpofée , & bien fournie de vertu, elle fup porte le mâquement des biens externes auec honneur. Et com- me vn excellent ouurier , qui n'a pas tous les outils neceflairesàfon art, ne laiffe pas d'agir comme il peut : Thom- me véritablement vertueux^ qui man- que des biens externes pour fes a- âions , ne laifle pas de s'aider de fa vertu autant que l'eftat prefent des chofes le luy peut permettre. Mef-

Chrestienne.I. Part. i8i mes dans les défauts du bien du corps 5 qui luy font plus proches &: plus intimes , &C qui embaraifent da- uantage les fondions de fon efprit , il effayc pourtant d'vfer de fa vertu en foy mefme , 5c de porter fa calamité fagement &: modérément. Au lieu que quand le mal eft dans Tefprit , il n*y refte plus de faculté fuperieure pour le corriger , &: fon vice le fait a- bufer &: des biens du corps Se des ex- ternes encore. De forte que le défaut des autres biens affoiblit &c fleilrit la iou'iffance du bon-heur , mais; ne To- fte pas tout à fait pourtant ; &: ce qui en demeure de refte eft fi confidera- ble&: fi puiflànt, qu*il amende mefme le mal qui s'y attache ou qui Tenuiron- ne. Au lieu que le vice de Tame éner- ue tellement &: anéantit la félicité, qu'il n'en demeure pas mefmes la moindre portion dans les commodités du corps^ny dans les auantages de de- liorSj parce que le vicieux en abufe.

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ï8i LA Morale

GiJIti)' ItistB «wsfê' Gtîlfê itll^sfêlfêlëlre itisw

CONTITSirJTIOTSi DE

la confdcrdtion du fouucrain

hien de t homme en tinte-

rrite de fk nature^

IVfquesicy la doftrine que nom auons apprife de la Parolede Dieu, &: celle que nous tirons des inftruftios de la Nature , s'accordent cxcellen»* ment bien ^ tant entr' elles mefmes premièrement , qu'auec les fentimens d'Ariftote en ce qui eft de la Môralei Car Ariftote compofe le fouuerain bien de l'homme de toutes les chofes que ie viens de reprefenrer. Et ce que l'en ay repre fente , ie Tay puifé des fources mefmes de la Nature. Quant à la parole de Dieu ^ lors qu'elle nous parle du premier eftat de l'homme ^ de fa félicité , elle le nous propofe comme vn fuiet dans lequel toutes ces fortes de bien concourent. Et comme Ariftote en cette compofîtion du fou-

Chrestienne. I. PartÏ 183. uerain bonheur de l'homme , préfère incomparablement les biens de l'efprit aux deux autres , &c laiffe à la vertu ^ à fes opérations Teminence du rang que Texcellence de fon mérite luy donne ; la Nature mefmes des chofes nous apprend que cette forte de bien y eft incomparablement à préférer 5 ôc la Parole de Dieu nous parlant du pre- mier eftat de l'homme &c de fa félicité, nous y recommande fur tout Pinte gri- de fon innocence. Mais il y a icy diuerfes chofes qu'Ariftote n'a point fceuës 5 que la Nature ne nous en- feigne qu'obfcurement , & que la re- uelation de la Parole de Dieu nous éclair ci t merueilleufcment ; qui ne fe peuuent paffer fous filencc fms faire vn merueilleux tort au dcfl'ein de cet euurage.Premierement,parce qu'Ari- ftote n'a point connu d'autre caufe de la mort, fm5 celle qu'if a creueftre na- turellement ineuitable , c'eft que dans l'êceinte de l'vniuers coûtes les chofes qui font compofées des elemens, font alfujetties à la neceffité de fe diifou- drç j il ne pouuoit conuenir à fes prin-

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184 LA Morale

cipcs de croire, que le defir de pofle- der fa félicité perpetuellencnt , fuft^ vne cliofe naturelle à rhomme. Car il pofe qu'il n'y a point de defirs vraye- nient naturels , qui nous ayent efté donnés inutilement , &: qui n'aycnt point d'obiet capable de les conten- ter. Or fi c'eft la neceflîté de la Na- ture qui nous ait aifuiettis à la mort^ il n'y a point, félon fon inftitution^ d'immortalité pour nous , ny par confequent d'obiet capable de rem- plir le defir d'eftre immortels , &: de poffeder à perpétuité les biens donc on ne peut retenir la iouïfifance fans la vie. Auflî Ariftote fe propofant la queftion , fi vn homme peut eftre dit heureux auant fa mort , il la refoût de telle façon qivil dit affés ouuertcment qu'où bien il n'y a point de bonheur propofé a Thomme , ( ce que nea-nt- moins il eilime ne fe pouuoir fouftenir que contre toute forte de raifoh,) ou bien il faut qu'il eniouïffe pendant le cours de fa vie , qui eft terminé par la mort. Parce que d*vn cofté te bon- heur ny le malheur ne concerne def^

Chrestienne. I. Part. iSf ormais plus les morts , puis que Tvn; confifte dans les bonnes & louables aftions , &: Tautre dans les mauuaifes: defqueîles ny ks vnes ny les autres ne peuuent eftre produites que par les viuans. Et de l'autre , les accidens foit heureux ou malheureux qui ar- riuent à la pofterité de ceux qui font decedés , ne les touchant pas dàuàfi- tage que les viuans font touchés des chofes qui fe pafl'ent fur les théâtres, dont rémotion eft fort légère ôc ne dure que fort peii de temps , cela ne peut ny leur ofter leur félicité, s'ils en ont ioiiy pendant la vie , ny amen- der knr condition, fi pendant qu'ils eftoycnt viuans ils ont efté malheu- reux. Cependant , encore que i'aye dit que c'eft vn peu obfcurement que la Nature nous enfeigne que nous auions efté faits poureftre immoitels, èc par confequent pour iouïr perpé- tuellement ne noft:re félicité , fi ne laiffe-t-cUe pas non feulement de nous en mettre quelques foupçons dans refprit , mais mefmes de nous y don- ner quelques fpHdes inftrihSbions , fi

i8^ LA Morale

nous reftudions de bonne forte. Car quoy qu'il en foit , le defirdeMmmor- talité eft vniuerfel en tous les hommes; & s'il y en a quelques vns qui ne la dé- firent pas 5 c'eft parce qu'ils defefpe- Tent d*y reuilîr, &: qu'ils tafchent d'ac- commoder leurs fouhaits à la poflîbili- des chofes : ou bien ils ont perdu le gouft de la vie par la continuation de laTouffrance de diuerfes calamités. Or quant à ceux qui font degouftés de la vic/i vous les deliuriés de leurs maux^ le defîr de viure leur reuiendroit in- continent j ôc ne les abandonneroit damais. Ce qui monftre qu'il eft na- turel. Se que c'cft vn rejetton des prin- cipes de noftre eftre , que le chagrin delà douleur empefche quelques fois de pouffer. Pour ce qui eft des autres> il n'y a que ceux qui fe vantent d'eftre Phiîôfophes , qui tafchent de reigler leurs defirs à la poffibilité de la iouif- fance de leurs obiets : tous les autres qui fe laiffent conduire aux fentimens de la nature , meurent à regret , 8c té- moignent iufques dans la mort l'affe- ûion qu'ils ont pour la vie. Or ce pe-

Chrestienne. I. Part. 187 tit nombre de prétendus fages , qui font force à la Nature pour acquérir la louange de bien vfer de la Raifon, n'eft nullement à comparer à la mul- titude des autres 5 &: n'empefche pas que ce ne foit à vn inftindinuiola- ble , dautant qu'il eft naturel , qu'il faut rapporter ce mouuement. Joi- gnes à cela qu'entre ceux mefmes qui ont fait profeiTion d'ailliiettir en cetteoccurrêcela Nature à la Raifon, il y en a eu bien peu en qui il ne foit demeuré quelque germe de ce defir , que tous les difcours de leur raifon n'ont pas efté capables d'éteindre. Et s'il s'en eft rencontré quelcun , com- me les hiftoires en parlent, qui s'eftant à caufe d'vne maladie importune &: inueterée ^engagé par l'abftinence des alimens das le chemin de la mort^n'ait pas voulu s'en retirer à l'heure qu'il lepouuoit faire, &: que fon abftinen- ce l'âuott guéri, ce n'eft pas qu'il ne rc- connuft afles luy mefme que la vie eft naturellement à fouhaitter. Mais par ce qu'il preuoyoit bien qu'vne autre fois, il faudroit mourir , il aimoit mieux

ï88 LA Morale

defcendre au tombeau quand il le pou- iioit faire doucement &: fans douleur , qu'yeftre précipite par quelque faf- cheux accident , ou contraint d*y de- ualer par quelque voye plus difficile &C plus raboteufe. Ce donc qui eft fi vni- uerfel, ce qu'on a tant de peine à com- battre y ce qu'en combattant on ne vainq iamais entièrement , ce dont il demeure toûiours quelque notable ôc confiderable fibre dans les efprits les plus forts , & qui fe piquent le plus de raifonnement , peut-il procéder d'ailleurs quedumefme principe du* quel nous tirons noftre eftre ? Ariftote lïiefme dit que les chofes du monde qui font toûiours d'vne mcfme façon , ont vne caufe necefTaire ôc détermi- née. Et c'eft auec tref-bonne raifon qu'il le dit ainfi. Car fi elles n'auoyent vne caufe déterminée , ce feroit le ha- fard qui les produiroit. Or c'eftvn grand liafard , & qui donne de l'adipi- ration , quand deux ou trois eucne- mcns^ de la nature de ceux dot la caufe n'eftpas ouneceffairc , ou approchant la neceiîîcé , fc rencontrent entie*

Chrestienne" I. Part^ 189 rement femblablcs en vn long temps. A quel hafard donc pourroit on rap- porter vne conduite fi égale & fi vni- forme en tant de fiecles ? Le mefme Ariftote dit que les eucnemens qui arriuent ordinairement , quoy qu'ils n'arriuent pas toûiours , ont vne caufe finon ncceffaireabfolument, au moins aucunement déterminée en la Nature: comme eft l'inclination d'vfer pluftoft de la main droite que de la gauche. Et il a encore raifon. Parce que fi celan'eftoit, il faudroit que cette in* clinationvint délimitation. Or on la void dans les enfans auant qu'ils fca- chent diftinguer entre la droite de la gauche , pour fçauoir laquelle il faut imiter : ô^lefoinmefines que les mè- res &: les nomrices ont de les former à vferde leurs mains delà façon, procè- de tellement de la conduite de la Rai- fon , quila fa racine dans la Nature. Le defir donc de l'immortalité eftant abfolument vniuerfel , ou au moins fe rencontrant beaucoup moins^de gens qui s'en foyent entieremët dépouillés , qu'il ne fe trouue de gauchers , il n'y a

ipo LA Morale.

aucune faifon de douter qu'il n'ait vti principe naturel 6c inuariàble*

Ne feruiroit de dire icy que la Na-* ture a donné à ce défît dequoy fe con- tenter , tant aux monumens qu'on laifTe de foy dans les liures y dans les baftimens , 5c dans la mémoire des hommes , chacun peut en quelque façon entretenir la fubfiftance de fon crtre^que dans les eiifans^dails Icfquels (onle prouigne Se perpétue ordinaire-* ment. Car pour ne dire pas mainte- nant qu'il y a fort peu de. gens qui fe puiiTent confoler de la perte de leur vie, en ce qu'Us lailfent vne image de leur fubfiftance dans les monumens iiianimés , l'eftre de l'iiomme qui s'y Conferucn'ariende folide ny dereéî. Comme ces efpeces qu'on nomme in- rentionelles', qui partent des corps , ôc qui fe reçoment dans les miroirs ^ ne font pas les corps mefmes dont elles émanent , mais feulement leurs ima- ges &c leurs reprefentations ; ces fi- mulacre§ de noftre eilre qui s'impri- ment dans les ftatuës 5 ou qui demeu- rent quelque temps dans la memoirç

Chrestienne. L Part? ifi de ceux qui furuitient , ne font pas noftre eftre mefme; ce n'en sotqu'vnc vainc ombre qui n'a point de realité. Et comme ceux qui défirent lapoflef- fîon des corps mefmes , ne fe conten- tent pas de leurs images, iufques que les petis enfans fe fafchent contre les miroirs , quand après auoir ou mis la main 5 ou ietté les yeux derrière , ils n'y rencontrent rien de ce que la gla- ce du miroir reprefentoitpar deuant; ce defir naturel delà conferuation per- pétuelle de noftre eftre , ne trouue pas dequoy fe fatisfaire dans cette forte de mémoriaux qui demeurent après que nous auons efté. Et fi la plufpart des âmes vn peu eleuées défirent de laifTer quelque telle fouuenance de foy après la mort , elles y regardent autant &: plus à la conferuation de la gloire de leurs belles adions , qu'à cette imagination de Tentretenemcnt deTeftre mefme. Car quand vn hom- me viuroit perpétuellement, ilnelaif- feroit pas de drclfer des trophées ôC